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qu’il fallait franchir dans une seule étape, en se frayant un passage à travers de hautes herbes, sans que le soldat trouvât un arbre pour le protéger un instant contre les ardeurs du soleil, ou une goutte d’eau pour étancher sa soif. Le lendemain, avant de pouvoir se remettre en route, il fallait tailler dans les berges escarpées de la rivière une rampe pour les voitures, construire un pont flottant, ou, si l’expédition était légèrement équipée, traverser un fleuve profond en croupe des cavaliers. Aux chaleurs brûlantes d’un été que ne tempère aucune brise de mer se joignaient le feu des prairies, les orages subits et les tourmentes de vent, si redoutables dans les plaines où rien n’amortit leur violence; puis le froid et la neige leur succédaient subitement, apportant de nouvelles souffrances aux troupes qu’elles surprenaient, comme celle de Johnston, au milieu de leur route. Cette vie formait des marcheurs rompus à un long exercice; mais, faisant campagne dans le désert, où ils emportaient tout avec eux, et ne pouvant se séparer plus de deux ou trois jours de leur convoi, ils étaient habitués à une certaine abondance de vivres et à des approvisionnemens réguliers. Aussi, quand il fallut en 1861 faire la guerre dans un pays qui ne manquait pas absolument de ressources, les officiers formés à cette école ne somgèrent-ils pas, avant que Sherman rompît avec ces habitudes, à tirer parti de ces ressources pour se rendre indépendans du convoi.

Pour la cavalerie, cette guerre fut une excellente préparation au rôle qu’elle allait être appelée à jouer. Ce n’étaient pas sans doute des cavaliers élégans, ni même de bons manœuvriers sur un champ de parade, que ces dragons américains qui depuis tant d’années vivaient dispersés au milieu des Indiens, et ils n’entendaient pas la guerre à la façon de nos soldats, qui, soit en ligne, soit en fourrageurs, ne comptent jamais que sur la pointe de leur sabre et l’élan de leur cheval; mais les nécessités d’une guerre spéciale leur avaient appris à justifier leur nom en faisant le service complexe pour lequel on forma au XVIIe siècle les premiers régimens d’infanterie montée. Pour pouvoir atteindre les Indiens dans leurs dernières retraites et châtier rapidement des tribus peu importantes, ils entreprenaient souvent de courtes campagnes, sans emmener aucun convoi à leur suite. Portant alors sur leur monture munitions, biscuits, café, etc., ils se faisaient suivre seulement de quelques chevaux de main, chargés d’une réserve de provisions. Les journées étaient longues et les rations petites. Quand enfin on atteignait l’ennemi, c’est presque toujours à coups de feu qu’on l’attaquait, car il ne se laissait pas plus joindre à l’arme blanche que l’oiseau sauvage ne permet au chasseur de le prendre avec la main. L’usage de la carabine donnait d’ailleurs aux Américains une grande supériorité sur leurs adversaires,