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Robert Peel s’efforça de se dérober cette fois aux manifestations projetées du dehors. Appuyé sur le bras de sir George Clerk, un de ses plus fidèles adhérens, il s’éloignait par une issue latérale quand, promptement reconnu, il devint l’objet d’une ovation qui attira sur-le-champ la foule à laquelle il cherchait à se soustraire. C’est ainsi qu’au milieu des démonstrations les plus enthousiastes il fut reconduit jusqu’à sa demeure, dont les échos retentirent de chaleureuses clameurs longtemps après son entrée. Flatteuses, mais stériles démonstrations ! Mirage éclatant d’un pouvoir à jamais anéanti.


IV.

Je fus longtemps avant de pouvoir mesurer la profondeur d’une chute aussi rapide et aussi imprévue. C’était la première des grandes catastrophes dont je devais être le spectateur désolé, et je ne me lassais pas de répéter, avec plus de surprise encore que de tristesse : Ecce ut cecidit fortis ! Que d’années se sont écoulées depuis durant lesquelles cette grande immolation a été le sujet pour moi de longues méditations comme d’entretiens inépuisables! Et pourtant ni le temps, ni l’expérience de la vie, ni les opinions contradictoires n’ont pu sensiblement modifier le premier jugement que j’en ai porté. Au fond, sir Robert Peel avait raison. Les prédications de M. Cobden et de M. Bright, se combinant avec le spectacle et le contre-coup de la famine irlandaise, avaient définitivement prévalu. Désormais, soit au point de vue de la protection, soit au point de vue de l’intérêt fiscal, toute sorte d’imposition sur le pain des classes souffrantes, si nombreuses en Angleterre, était un impôt périlleux, un impôt condamné. Si sir Robert Peel s’était borné à proclamer sur ce point sa conviction, tout en suspendant sur-le-champ et partout les droits d’entrée, si, fortement établi sur ce terrain, il avait déclaré qu’il laisserait à M. Disraeli la tâche de les réimposer, à lord John Russell celle de les abolir formellement dans le parlement actuel, qu’auraient pu répondre l’un ou l’autre? L’agitation contre le principe des corn laws aurait continué sans doute, mais elle était dorénavant toute au profit de la politique du ministre converti. Quant aux dangers qu’elle pouvait entraîner, comment admettre qu’il eût été possible sérieusement d’insurger les populations contre un impôt qui avait totalement cessé d’être perçu, et dont le rétablissement était évidemment impossible? Le temps, la réflexion, des ménagemens convenables et trop longtemps dédaignés, mille circonstances enfin seraient venues calmer les premiers emportemens du parti territorial : des élections nouvelles auraient plus tard dégagé sa responsabilité et son honneur, compromis outre mesure dans l’ardeur de la dernière lutte électorale. Ainsi les corn laws