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pour la pierre, il se mettrait à l’œuvre sans sourciller. » Mais le parti whig était en grande minorité dans le parlement, une dissolution n’aurait guère augmenté ses forces dans la proportion suffisante, et pouvait-il sérieusement compter sur l’appui de sir Robert Peel et des adhérens qui resteraient fidèles à leur chef? Tout annonçait pourtant que lord John Russell allait affronter l’entreprise quand la combinaison libérale avorta sur le refus de lord Grey de servir dans un cabinet où lord Palmerston aurait encore la direction des affaires étrangères. Je compris plus clairement dès lors le sourire de sir Robert Peel auquel j’ai fait allusion.

Quelle fut la pensée secrète du chef conservateur quand, sur l’appel pressant de la reine, il consentit à reprendre le pouvoir auquel il venait de renoncer? J’ai lieu d’estimer que je me trompais peu en jugeant que sir Robert Peel, ayant offert par sa démission une première satisfaction aux animosités de son parti, n’était point éloigné d’espérer qu’il se rallierait autour de lui dans une proportion suffisante pour abolir éventuellement les corn laws, avec l’appui nécessairement acquis d’avance du parti libéral. Ce grand sacrifice consommé, quel avantage trouveraient les conservateurs mécontens à détruire de leurs propres mains l’œuvre laborieuse de dix années d’opposition, de ruiner pendant longtemps leur propre suprématie politique pour la livrer eux-mêmes à leurs adversaires? D’ailleurs quel champion inconnu surgirait dans leurs rangs pour affronter la discussion avec l’orateur tout-puissant qui les avait tant de fois conduits à la victoire et qui ne serait certainement attaqué par aucun de ses collègues ministériels? L’événement prouva que, sur les deux derniers points, la sagacité de sir Robert Peel fut en défaut. S’il réussit en effet, avec l’appui de lord John Russell, à faire rappeler les corn laws, l’exaspération qu’avait soulevée sa politique nouvelle devint de plus en plus inconciliable, et des rangs mêmes de son propre parti sortirent deux agresseurs personnels auxquels il fut donné d’exercer la plus funeste influence sur sa destinée.

La mesure à laquelle s’arrêtèrent définitivement sir Robert Peel et son cabinet à la seule exception de lord Stanley, qui ne crut point pouvoir suivre jusque-là ses collègues, ne fut point, il est vrai, tout à fait aussi extrême que celle dont, le premier parmi les hommes d’état considérables de son pays, lord John Russell venait, dans un célèbre manifeste, de se proclamer le champion. Au lieu d’abolir sur-le-champ les droits protecteurs, le premier ministre se contentait de les réduire progressivement pendant trois ans, un