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ravitaillemens arrivèrent à temps, et Johnston put gagner au printemps la Cité du Grand-Lac-Salé..

Lorsque la guerre éclatait avec quelque tribu indienne, il fallait, au milieu de ces difficultés, aller chercher un ennemi alerte, qui, né dans le désert, n’était embarrassé d’aucun convoi. Toujours à cheval, les Indiens durent à leurs montures cette rapidité de mouvemens qui fit leur force dans l’attaque et leur sécurité dans la fuite, et qui, lorsqu’ils n’employaient pas encore la carabine, put même compenser plus d’une fois l’infériorité de leurs flèches devant les armes à feu des Américains. C’est au moment où la race blanche vint leur disputer le nouveau continent qu’une juste providence mit entre leurs mains ce précieux et vaillant auxiliaire. Lorsque l’Européen débarqua au milieu d’eux, il leur apporta à la fois la guerre implacable et sans fin et les moyens de la faire : il leur donna le cheval, sans lequel ils n’auraient pu vivre même pacifiquement dans les plaines où ils allaient être refoulés. Le cheval devint le compagnon indispensable de leur nouvelle existence. Ne vivant que de leur chasse, ils passèrent maîtres dans l’art des surprises et des embuscades. Ne craignant ni de risquer leur vie dans les plus périlleuses entreprises, ni de fuir, lorsqu’ils avaient manqué leur coup, sans attendre de pied ferme une défaite irréparable, leur troupe grossissait et disparaissait alternativement en un clin d’œil, comme ces brouillards légers qui s’élèvent sur la prairie humide de rosée, et tantôt se condensent, tantôt se dissolvent sous l’influence d’un soleil matinal.

Il est souvent arrivé à une colonne de marcher des semaines entières sans apercevoir l’ennemi, qui cependant la suivait pas à pas, prêt à s’élancer sur elle au moindre symptôme de faiblesse. Malheur alors à celui qu’une imprudente confiance entraîne trop loin de ses camarades! il ne reparaît jamais. Après une étape que le manque d’eau a prolongée, lorsque les feux du camp charbonnent presque éteints sous la cendre, et que partout règnent le silence et l’obscurité, l’on entend parfois un cri étrange, auquel d’autres cris répondent dans des directions opposées. Pendant qu’on s’éveille, qu’on se cherche, un bruit confus s’élève du corral où sont parqués les chevaux d’artillerie et les mules du convoi. Quelques Indiens, se glissant inaperçus, ont adroitement coupé leurs entraves, et, profitant du trouble qu’ils ont fait naître, ils s’élancent eux-mêmes à cheval pour ébranler la troupe d’animaux épouvantés et guider sa course. Elle se précipite aussitôt comme un tourbillon, brisant tous les obstacles sur son passage, et, toujours escortée de ses sauvages conducteurs, elle disparaît bientôt, laissant les blancs stupéfaits et aussi impuissans que des bateliers sans rames sur une mer agitée. Le