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isolés des Montagnes-Rocheuses, la séparation des bassins des deux Océans, et ce n’est que sur certains points du versant du Pacifique que des montagnes escarpées et des forêts épaisses ont forcé les Américains à imiter les conduites de mulets qu’ils avaient vues au Mexique, et à remplacer leurs chariots par des bêtes de somme.

Plus l’expédition devait être longue et pénible, plus il fallait augmenter le convoi, et sa grandeur même, en embarrassant la marche des soldats, multipliait encore pour eux les mauvaises chances de la campagne. Ces difficultés faillirent amener la perte de la colonne de troupes la plus considérable qui se soit jamais aventurée dans les déserts des Montagnes-Rocheuses, quoiqu’elle fût commandée par un officier expérimenté, Sidney-Johnston, qui aurait sans doute joué un grand rôle dans les armées confédérées, s’il n’avait trouvé au début de la guerre une mort prématurée sur le champ de bataille de Shiloh. Cette petite armée, envoyée en 1857 par le président Buchanan pour rétablir chez les mormons les autorités fédérales qu’ils avaient expulsées, comptait 2,500 combattans; mais, obligée d’emporter dix-huit mois de vivres, elle traînait à sa suite plus de quatre mille voitures. Avec un pareil convoi, le moindre obstacle retardait sa marche. A chaque rivière profonde, il fallait décharger toutes les voitures et les faire flotter, pour les tirer avec une corde sur l’autre rive, puis transporter les provisions à bras sur les ponts destinés à l’infanterie et composés, comme des radeaux, de troncs d’arbres liés ensemble. Après deux mois de voyage, les Américains avaient, au milieu de novembre, atteint les hautes passes des Montagnes-Rocheuses, lorsqu’un hiver précoce vint les y surprendre. Enveloppés dans une tourmente de neige, les animaux périrent de froid et de faim. Chaque jour réduisait leur nombre de plusieurs centaines; les soldats grelottant mettaient le feu aux voitures, abandonnées avec les vivres précieux qu’elles portaient. Pendant quinze jours, cette petite troupe, jonchant des débris de son convoi le manteau glacé du désert, continua cette marche terrible avec plus de persévérance que de prudence ; mais elle ne put parcourir que quatorze lieues, au bout desquelles elle s’arrêta épuisée, et fut réduite à prendre ses quartiers d’hiver dans la triste contrée où elle se trouvait bloquée. La plupart des vivres ayant été perdus, on vécut de viande de mulet. Enfin, cette ressource suprême venant à manquer, le capitaine Marcy, qui depuis devint général fédéral, se dévoua à la périlleuse entreprise d’aller demander un renfort de vivres et de transports aux établissemens du Missouri. Il perdit en route presque tous ses compagnons et ne put accomplir qu’au prix de souffrances inouïes la mission à laquelle était attaché le salut de l’armée. Grâce à lui, les