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par exemple, a de ces soupirs d’harmonie et de pénétration ineffables : « Ô mon âme, que ne peux-tu t’envoler vers le ciel sur les ailes de cette voix divine ! Mais le charme est si doux que l’âme ne s’envole pas et ne bouge, prolongeant ainsi son extase ! »


Pétrarque revint à Vaucluse, il revit ces rochers, ces fontaines, témoins des jours. heureux, il s’égara de nouveau parmi ces solitudes, où tous les deux avaient aimé et qu’il parcourait désormais plaintif et sombre :


Sur le sable où nul pas des hommes n’est empreint,
Morne, et de ma douleur la tête toute emplie,
Je vais me promenant avec mélancolie ;
Le rocher soucieux, le ruisseau qui se plaint.
Sont mes confidens, rien du dehors ne m’atteint.
Aucun témoin fâcheux n’est là qui me devine ;
Je marche, et la tristesse à mon côté chemine !


Le clapotement de la source, un rossignol qui chante au crépuscule, chaque bruit évoque une image d’autrefois ; il n’est grotte ou jardin qu’elle n’ait consacré par son passage, sa présence anime, éclaire, embellit tout. Tantôt il la revoit sous les traits d’une naïade de la Sorgue, tantôt sous l’apparence d’une noble dame se promenant dans les sentiers en fleurs, belle, calme, souriante, son beau regard baigné de compassion. Alors parlent ses lèvres à jamais descellées, la mort trahit les secrets de la vie. Elle lui dit combien il fut aimé, il apprend enfin le secret de ces longs silences, causes de récriminations si cruelles : « Je me taisais par égard pour mon honneur et ton propre salut, car tu ne savais pas quels dangers te menaçaient ! » Il s’adresse aux arbres qui l’ont protégée de leurs ombres, aux buissons dont sa main a cueilli les fleurs, cause d’elle avec l’étoile, avec l’oiseau, jette son nom aux bouillonnemens de la cascade : Beau lac, t’en souviens-tu ? Éternelle complainte de nos douleurs et de nos mélancolies, qui pour ne pas périr dans la mémoire des hommes ont besoin de se rattacher à la nature. Lisez les vers de Lamartine et vous aurez la note de cette poésie, intimement psychologique et pittoresque : In morte di madonna Laura. Elvire ni Laure ne sauraient périr, leurs poètes les ont dotées de cette immortalité que l’antique mythologie donne à ses dryades, à ses nymphes, et tant que l’idéal conservera quelque privilège en ce triste monde, le lac du Bourget comme la fontaine de Vaucluse resteront célèbres, et cela, non pour s’être souvenus^ mais simplement pour avoir jeté l’écume de leurs ondes sur « des pieds adorés ! »

Henri Blaze de Bury.