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enseigne bien à quel point cette nature altière et peu démonstrative respirait au fond la sympathie, son alcôve ne fut pas désertée ; en un moment où le vide se faisait autour des mourans, l’empressement éclata de partout, chacune de ses amies accourut sans tenir compte du danger. Elle les voyait groupées à son chevet, assises en cercle dans la chambre, et, non contente de les édifier par sa résignation, cherchait à les distraire par son enjouement. On dissertait, on récitait des vers, c’était comme un Décaméron suprême que la noble personne présidait. — Elle expira en causant, le sourire sur les lèvres, vous eussiez dit, non point une flamme sur laquelle on souffle et qui s’éteint brusquement, mais une lumière qui, faute d’aliment, peu à peu s’affaiblit et brille jusqu’à la dernière goutte d’huile. La mort fut belle à son visage, qui pâlissant ne blêmit point et conserva longtemps ce mystérieux rayonnement que l’esprit laisse à l’enveloppe terrestre dont il s’éloigne avec regret.

Le soir même du jour où s’était exhalée cette âme sainte (6 avril 1347), le corps de l’illustre dame fut transporté à l’église des Franciscains et déposé dans la chapelle de la Croix construite par Hugues de Sade. Là se chantèrent les derniers psaumes, puis les voix et l’orgue se turent, et la pierre se ferma sur le corps jusqu’au jour où, deux cents ans après (1533), le roi galant et chevalier se fit ouvrir cette tombe. Quelle curiosité amenait François Ier à cette place ? Pensait-il trouver là le secret de cette liaison dont l’énigme nous occupe encore ? Hélas ! de ces choses de la vie la mort ne garde point de trace ; le peu qu’on lui en livre, la tombe l’a bientôt réduit en corruption. Un sonnet parmi des ossemens ! c’est tout ce que l’amant de la belle Diane ressaisit de la divine Laure. Aujourd’hui les ossemens sont dispersés, le vent de la révolution a soufflé dessus, il ne reste plus que le sonnet. Le chroniqueur latin d’Élisabeth de Hongrie raconte qu’à sa mort, au moment où l’âme de la sainte s’envolait du sépulcre, tous les oiseaux des bois prochains vinrent lui chanter un Requiem triomphal. On se représente ainsi l’immortalité de la dame de Noves, l’infini concert que chante à sa gloire cette forêt pleine de sonnets et d’enchantements !

VI.

Revenons à Pétrarque. La mort du jeune Albizzi l’avait terrassé. Ce noble enfant, ce génie, tant d’heureux dons, de valeur acquise et de promesses, tout cela moissonné d’un seul coup ! Il n’y voulait croire ; bientôt son imagination s’assombrit, au sentiment du malheur accompli se mêla le pressentiment du malheur qui pouvait arriver.