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par le détail. Courage donc, et, quel que soit l’événement, que nous puissions au moins nous dire que nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour sauver ce malheureux amant. » Vaucluse, 26 avril. — Trois jours après, le cardinal Colonne n’avait encore rien répondu. L’heure pressait, l’exécution était annoncée pour le lendemain. Pétrarque écrit de nouveau, envoie courrier sur courrire. — À ce moment, l’histoire s’interrompt, et ni cette lettre ni les suivantes ne nous renseignent sur le dénoûment. Le jouvenceau fut-il pendu ? Il faut le croire ; la justice des châteaux avait alors de ces façons d’agir toutes sommaires, et cette scène du Mariage de Figaro où Beaumarchais nous montre les assises de la cour d’Aguas-Frescas n’est que la contre-épreuve au comique des tragiques bergeries de tous ces Céladons mitres et couronnés du moyen âge.

Nous avons vu Pétrarque s’éprendre de bel enthousiasme à propos d’un républicanisme chimérique. Ces rêves d’ancienne Rome chauffaient ailleurs que dans le cerveau du poète. C’était l’esprit de l’antiquité s’armant en guerre et préparant les temps nouveaux. Parmi les fanatiques de cette idée, il n’y en avait pas de plus furieux que Rienzi, le chef de l’ambassade récemment débarquée. Clément VI avait peu goûté son prône, et d’abord tint à l’écart le personnage ; mais bientôt, sur les conseils de Pétrarque, il changea d’avis. L’anarchie grandissait dans Rome, il fallait absolument que le pape eût là quelqu’un pour rétablir un simulacre d’autorité ; Rienzi avait sa popularité, son éloquence. En temps de crise, un gouvernement prend ce qu’il peut. Le pape, très pressé d’ailleurs par les lettres de Jean Colonna, remit donc ses pleins pouvoirs à Rienzi, qu’il nomma notaire de la chambre romaine et chargea de refréner l’aristocratie en soulevant au besoin la multitude. Ce jeu n’était que trop de nature à passionner un tel homme ; Rienzi déchaîna le peuple contre les grands, enflamma les imaginations jusqu’à la folie en évoquant le tableau du passé, en leur parlant des plébéiens et de leur toute-puissance sous les empereurs. D’un coup de main, la position fut enlevée ; le tribun devint dictateur, et l’instrument d’ordre public un instrument d’atroce tyrannie.

À la cour d’Avignon, cette audace ne déplut pas. Clément VI applaudit à ces premiers succès, comptant bien en finir ainsi avec ce gouvernement de sac et de corde, que dans l’absence du pape et de l’empereur les hauts barons infligeaient à la ville éternelle. Pétrarque jubilait, sans penser que ses meilleurs amis, les Colonne, figuraient à la tête de cette aristocratie décimée par le proconsul plébéien ; mais ces légèretés de cœur ne sont pas même à relever chez Pétrarque. Il jongle avec des idées générales ; quant au sentiment, il l’ignore et reste impersonnel au milieu des sublimités dont se