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gagnait benoîtement l’heure trois fois bénie où la déesse au voile, ne se montrant en quelque sorte que pour disparaître, — venait éblouir du réel éclat de sa présence les roses et les myrtes d’un jardin toujours rempli de son image.


Dans un coin du jardin modestement assise,
Je la vis ; ses beaux yeux rayonnant de clarté,
Les fleurs sur ses habits tombaient de tout côté
Des rameaux frissonnans que balançait la brise ;

On eût dit la nature, également soumise,
Qui venait, comme moi, saluer sa beauté ;
Aux roses se mêlait le jasmin argenté.
Il neigeait des lilas sans qu’elle en fût surprise !

Aubépine, églantiers, fleurs et feuillages verts.
Elle en avait les bras et les cheveux couverts.
Et même aussi les pans de sa robe de moire ;

J’en voyais qui tombaient au ruisseau d’alentour.
D’autres restaient par terre, et toutes criaient « gloire.
Gloire à notre maîtresse, à la reine d’amour !


Il n’entre point dans ma pensée de suivre Pétrarque à travers les perpétuels méandres d’une carrière toute de mouvement, de fantaisie et d’ambition. Je le prends comme je le trouve, et dans le milieu qui me convient, sans me laisser distraire par la fiévreuse agitation d’un héros qui ne tient pas en place. Nous venons de voir en jeu l’amour, l’érudition, la religion ; à la politique maintenant ! Jean XXII meurt, Benoît XII lui succède (1334). C’est l’heure des hexamètres latins et des grandes harangues à tous les potentats ; c’est l’heure d’aller à Rome fouiller les décombres et chercher dans la cendre d’un monde à jamais enseveli quelque vieux brandon mal éteint, auquel on essaiera de rallumer la torche d’un républicanisme creux et redondant. L’Italie opprimée, ses déchiremens intérieurs, thèmes à prosopopées rimées et non rimées qu’il ne se lasse pas de débiter, tout en se faisant héberger, renter et festoyer par ces affreux tyrans, objets de ses apostrophes oratoires. Se donner pour un grand patriote, n’avoir jamais en vue que son propre avantage, et toujours parler de son pays, ce fameux art ne date pas d’hier, bien qu’il réussisse encore à miracle. Pétrarque avait ce don incomparable de s’imposer à l’opinion par l’unique force de l’attitude. Jamais en aucun cas de sacrifice, mais du talent et des discours tant qu’on en voulait. Nul virtuose ne pinça comme lui la corde nationale et populaire ; il saisissait au passage la question en train de faire son chemin, sautait dessus et la gouvernait à son gré. Ses lettres et ses vers, il savait d’avance à qui les adresser. Un exemple : l’Italie n’a pas plus tôt senti poindre le désir de voir le saint-siége