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l’étude et le sentiment de la nature. Cet amour, composé bizarre de poésie et de mysticisme, où l’antique littérature classique se confond dans l’art des Provençaux, cet amalgame des élémens les plus hétérogènes : sensualité, christianisme, fantaisie arabe, théologie aristotélique, cléricalisme et troubadourisme, — bien subtil qui l’analysera ; mais, tenons-nous-le pour dit, c’est un peu tout cela qui s’appelle Laure, madonna Laura ! Et quand Pétrarque, altéré de solitude, quitte Avignon pour s’enfuir à Vaucluse, c’est avec tous ces élémens qu’il cohabite, s’imaginant de bonne foi ne vivre qu’avec le souvenir d’une femme.

III.

À quelques lieues de la cité des papes est une vallée pittoresquement encaissée entre des rocs abrupts. Longtemps avant d’y arriver, vous voyez des eaux vives courir, affolées, par les sentiers, sourdre des cailloutis : c’est la Sorgue, une limpidité bleue, miroitante et chantante d’abord, un frais et doux gazouillis qui bientôt devient un murmure. Approchez, des bruits mystérieux d’orgue et de symphonie vous accompagnent ; montez, la cascade emplit l’air de résonnances inconnues : cela fume, bouillonne, poudroie avec des jaillissemens prismatiques, des effets de voix éoliennes à vous donner des illusions de Niagara ; grimpez toujours à travers les mugissemens, les tempêtes de l’orchestre qui s’exaspère ; ne vous découragez point et tâchez de résister au vertige, un pas encore, et vous touchez à la source, au grand rapide. À vos pieds, les nappes d’eau se précipitent de rochers en rochers, hurlent à tue-tête, vingt cascades aboient au soleil, qui, souriant, leur jette son écharpe. On n’imagine pas quelles furies, quelles détonations ! Et près de vous l’étroit bassin, insondable et calme, plein de mystère et de silence, comme tout ce qui est profond. À l’immobilité de cette surface liquide, vous diriez une eau qui dort sans afflux, sans écoulement. Si vous aimez les sortilèges, venez par un beau clair de lune d’une nuit de mai évoquer la nixe de Vaucluse, et peut-être à votre appel la verrez-vous sortir de cet abîme de cristal qui lui sert de palais. Vainement des blocs de granit tapissés de mousses s’efforcent de barrer le passage à la puissante nappe ; le flot passe par-dessus leurs cimes, filtre par leurs fentes, s’élance vers sa chute avec une indomptable vigueur d’entraînement, et, pour changer le lac paisible en un torrent, un quart de minute a suffi. Ce flot, naguère si tranquille, il semble que la rage l’ait pris ; vous le suivez avec horreur dans sa fuite, effaré, diabolique, et jetant l’écume vers le ciel ; il va sautant de roc en roc avec des bonds de chat-tigre et des vacarmes