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trant derrière la Rome papale et féodale la vieille Rome républicaine avec ses empereurs, ses consuls, ses tribuns du peuple. Je regrette de n’avoir point à raconter ici les services rendus par Pétrarque à l’esprit, à la culture des temps qui s’approchaient. De cet enthousiasme qu’il affichait si bruyamment pour les Romains classiques, la philologie et l’étude des belles-lettres profitèrent beaucoup, il remit en crédit le goût des choses de l’intelligence, que le xvie siècle poussa plus tard jusqu’au dilettantisme, collectionnant les médailles au point de vue de la chronologie, rassemblant les cartes et les documens géographiques. Écoutez sa conversation avec Richard de Bury, chancelier d’Angleterre, une bibliothèque vivante ; ce ministre d’Édouard III et ce poète, de quoi s’entretiennent-ils ? De mirabilibus Hiberniæ !


Il était un roi de Thulé…


Cinq cents ans avant Goethe, Pétrarque bégayait la chanson, mais ce qu’il eût fort aimé savoir, c’était dans quel coin de l’univers étaient situés les états de ce roi, et là-dessus son interlocuteur persistait à ne pas vouloir répondre, « soit qu’il ne possédât en effet aucun renseignement, soit qu’ayant fait quelque découverte sur la véritable Thulé, il ne se souciât point de la communiquer à personne[1]. » Pétrarque fit bien d’autres trouvailles. Cicéron, Tite-Live, Quintilien, lui doivent une grande part de leur restauration. Il évente les pistes et ne les lâche plus. Que de courses au clocher, tantôt heureuses, tantôt vaines, mais toujours significatives, même alors qu’elles ne réussissent pas, comme il lui arriva pour ce livre de Varron : Rerum humanarum et divinarum antiquitates, qu’il se souvenait vaguement d’avoir feuilleté dans son enfance, et pour un traité de Cicéron de Gloria, possédé jadis, ensuite prêté à quelque ami, et depuis inutilement cherché ! Si la chasse avait ses déceptions, elle avait aussi ses récompenses. À Liège, il découvre deux discours de Cicéron, qu’il transcrit, et dont va s’enrichir cette collection copiée plus tard tout entière de sa main. À Vérone, il trouve les épîtres ad familiares, ad Atticum, et relève ces deux manuscrits, qu’on peut voir encore aujourd’hui dans la Laurenziana de Florence. Parlerai-je de cet exemplaire de Virgile, son poète de prédilection, exemplaire enrichi d’enluminures de son ami Simon de Sienne, représentant divers sujets de l’Énéide ?

Pétrarque fut un grand humaniste, et c’est par ce côté qu’il aurait prévalu, s’il existait en ce monde une justice distributive, et si toutes ces choses de la renommée et de la gloire, — comme la fumée,

  1. Epistolœ familiares.