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proche, — et de voir par exemple comment une chétive bourgade du comtat venaissin peut aussitôt, grâce à la naissance de Laure, devenir une Bethléem nouvelle que l’éioàie du Seigneur signale aux adorations des rois mages.

Cette robe mystique faisait donc partie du trousseau de la dame, qui, outre une somme de 6,000 livres tournois, avait reçu en dot par contrat de mariage « deux habillemens complets, » l’un à semis de violettes, l’autre de pourpre, qu’elle revêtait aux jours de fête et de gala lorsqu’il s’agissait de briller « comme un phénix, » et d’éclipser « d’un éclat inoui » toutes les beautés de la cour d’Avignon. Et le voile blanc que j’allais oublier ! ce voile jaloux, divin, toujours flottant entre terre et ciel, qui se prête aux petites coquetteries de la femme non moins qu’aux grands airs de la transfigurée et si merveilleusement parachève la vision !


Marie a le manteau d’azur, Laure le voile.


On n’imagine pas tout ce qu’un pareil motif a pu rendre sous cette main, la plus habile qui se soit jamais exercée aux variations thématiques. Ce voile, béni, glorifié, lorsqu’il s’entr’ouvre, blâmé lorsqu’il se ferme, est pour le poète un principe continuel d’émotions. S’il rencontre une fillette au bord du ruisseau, lavant ce voile, son cœur se met à palpiter, vous diriez le ravissement d’Actéon apercevant Diane au bain ; à ce voile miraculeux, le ciel même ne saurait résister. « Quand je serai mort depuis longtemps, elle implorera du ciel ma grâce, et, pour l’obtenir, il lui suflira d’essuyer ses larmes avec son voile. » Rapprochement étrange et bien curieux : Poppée, elle aussi, jouait et minaudait devant Néron avec son voile, « soit, nous apprend Tacite, pour ne point assouvir le regard qui la convoitait, soit que son désir de plaire y trouvât avantage, » ce qui prouve que par certains côtés la femme la plus honnête comme la plus dégradée se ressemblent, et qu’il n’est christianisme ni civilisation qui puisse prévaloir contre l’instinct. Compulsez l’antiquité classique, interrogez le romantisme du moyen âge, la fille d’Ève ne désarme pas. Je n’entends ici parler ni des grandes sirènes de l’histoire, ni de ses furies, mais à nous en tenir aux plus dignes, aux plus chastes, à celles qu’on pourrait appeler a la couronne de la création, » que de ruses encore, d’esprit de coquetterie et de malice, que de perfidie encore sous ces couronnes !

II.

Ce premier regard dans l’église de Sainte-Claire avait promis plus qu’on ne pouvait et ne voulait donner. Pétrarque, mal con-