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trace de cette poésie du ciseau dont l’architecture du moyen âge se sert pour adoucir l’aspect formidable et sombre de ses cloîtres ou de ses donjons. Ce palais est une citadelle, cette citadelle une prison. L’horreur vous prend, vous avez devant vous, fatal, inexorable, le symbole de l’absolutisme et de l’inquisition. Au dedans, même absence de décoration : une fresque attribuée à Giotto et représentant les douze apôtres est tout ce qui reste de peinture dans la chapelle ; mais cette chapelle est elle-même un bijou. Jamais chef-d’œuvre plus charmant ne nous vint du gothique, c’est simple, sévère et point nu ; dans la forme des colonnes et la courbure de la voûte, quelle exquise pureté de goût ! Quant aux appartemens privés du souverain pontife, impossible de s’en faire aujourd’hui une idée quelconque. La révolution les avait épargnés, la restauration imagina d’y loger des troupes, et je laisse à penser ce que devinrent ces salles historiques transformées en caserne et coupées par le milieu de façon à distribuer l’espace en deux étages.

Chose bien singulière et qui porte avec soi sa terrible moralité, de ces lieux croulans et désolés tout vestige d’art, toutes archives ont disparu, et ce qui de l’antique manoir demeure intact, ce qui défie les âges, c’est le cachot ! In dextra gallium tenez. Pénétrez sous cette froide et morne galerie, franchissez ce seuil : vous êtes dans la chambre du saint-office. Cette énorme chaudière, creusée à vif en plein granit, est là pour servir de baignoire à ceux qui sont mis à la question de l’huile bouillante. Plus loin une sorte de niche est taillée dans le mur, un grand trou noir, sans lumière, sans air, sans espace pour se mouvoir ; là, scellé vivant derrière une pierre, le prévenu de l’inquisition attendra des semaines, des mois, et devant que de comparaître aura perdu jusqu’au dernier principe de force morale. Tout à côté de la salle du tribunal est la chambre des tortures, un caveau sourd, aveugle,, des murs épais au travers desquels ni les gémissemens de la douleur, ni les appels du désespoir n’ont jamais percé ; les tenailles sont absentes, mais l’immense cheminée à voûte où les fers de justice étaient chauffés à blanc montre encore sa béante gueule dont le rictus diabolique vous ensorcelle. Accompagnons le patient au sortir de cette géhenne : deux pas lui restent à faire en ce monde ; le premier le conduit dans une petite chapelle, où, la chemise des condamnés sur le dos, le cierge du poids de six livres à la main, il accomplit l’acte sacramentel de suprême pénitence, et penser, ô raffinement du supplice ! que près de la place qu’il occupe est une fenêtre égayée d’un rayon de soleil et qui découvre à ce cœur désormais sans espérance, mais capable encore de souvenir, toute une perspective joyeuse sur les prés pleins de fleurs et les bois pleins de lumière et de chansons. Un pas, un