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sanctionnées par la paix signée à Mexico. La moitié du continent se trouvait enveloppée par les nouvelles frontières de l’Union. Montagnes et déserts, forêts, rivières et prairies, tout l’espace compris entre les derniers settlements du Mississipi et les côtes presque inhabitées de la Californie, où la fièvre de l’or ne régnait pas encore, entra dans le domaine du peuple américain. En reculant ainsi les limites du champ ouvert à son ambitieuse activité, celui-ci prenait aux yeux du monde l’engagement de le conquérir à la civilisation : sa petite armée, par son intelligence et sa persévérance, devait être l’un des principaux instrumens de cette entreprise. De pareilles conquêtes sont la plus belle mission du soldat. Fécondes en enseignemens, grâce aux tâches variées et à la responsabilité individuelle qu’elles imposent à chacun, elles sont une excellente école pour une armée. La colonisation, qui, sous la puissante influence d’une vraie et sage liberté, marche vite en Amérique, ne demande à aucun pouvoir civil ou militaire de l’administrer ni de penser à sa place; mais le squatter, qui ne sépare pas la carabine de la hache, pousse parfois jusqu’à l’excès le besoin d’indépendance, et dans la lutte de la civilisation nouvelle contre la nature et contre la société imparfaite des Indiens, l’intervention d’un pouvoir supérieur, fort et impartial, devient souvent nécessaire. Ce fut le rôle des officiers américains.

Ils représentaient seuls le gouvernement fédéral, à la fois souverain et unique propriétaire de ces vastes contrées : ils engagèrent contre la nature encore vierge un combat bien différent de ceux qu’ils venaient de livrer aux Indiens, car il a l’heureux privilège de ne pas faire de vaincus, mais où la victoire doit être achetée au prix d’efforts patiens qu’on ne peut attendre que du dévoûment militaire. Leurs beaux travaux géodésiques furent mêlés des plus étranges aventures. L’un des plus distingués d’entre eux, le colonel Frémont, tout en explorant les Montagnes-Rocheuses, conquit en passant une province aussi grande que la France. Quoiqu’une querelle avec le général Kearney, exploitée par l’esprit de parti, privât l’armée de ses utiles services, son exemple fut suivi. Délimitations de frontières, levés hydrographiques des côtes et des rivières, études géologiques, recherches d’histoire naturelle, furent entrepris à la fois par ces infatigables pionniers de la science. Leurs rapports, publiés par le ministère de la guerre, forment les archives les plus complètes et les plus intéressantes, malgré leur étendue, de l’histoire de la colonisation de l’Amérique. La vie solitaire qu’ils menaient poussait à ces recherches ceux même qui n’en avaient pas reçu la mission officielle. Parfois sans doute un hasard mal- heureux venait contrarier leurs goûts : le géologue était cantonné dans une plaine où il ne pouvait rencontrer une pierre, le botaniste