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monde[1]. » Maintenant pénétrons dans la ville, même aspect : des maisons suant la vétusté, massives, ayant leurs fenêtres garnies de lourds barreaux de fer bombés, d’anciens hôtels où l’on entre par des arcades dans une cour dallée où l’herbe croît entre des fûts de colonnettes et des morceaux d’architecture, des rues escarpées, étroites, qui vous font songer à ces tableaux d’un quartier de Mogador ou de Tétouan ; puis, au coin de misérables carrefours, des niches creusées dans la pierre, des statuettes de madone, des écussons fièrement surmontés du chapeau de cardinal, comme pour vous rappeler que ces murs délabrés furent autrefois la demeure d’une race d’hommes riches et puissans. Ces maisons, où grouille aujourd’hui la pauvreté, des princes de l’église, de hauts seigneurs séculiers, les ont construites à grands frais et joyeusement habitées sous la vigoureuse protection de la tiare : tout ce qui jadis fut leur gloire a disparu ; mais au milieu de cette déchéance, l’empreinte aristocratique a tenu bon, la plupart de ces édifices, en dépit des outrages du temps, se souviennent encore du passé et vous forcent à vous en souvenir. Que de fois, égaré dans quelque impasse, errant parmi les décombres d’une cour d’auberge ou d’un vieux cloître transformé en magasin de garance, n’ai-je point surpris un bas-relief mutilé, un pan de mur portant ses titres de noblesse en inscriptions bien authentiques, un reste de peinture effacée ! Que de fois, parcourant la ville natale en ses recoins les plus secrets, ne me suis-je pas dit : « Cette porte dévissée, vermoulue, qui bat nuit et jour à tous vents, et que poussent du pied les servantes, des mains épiscopales et cardinalesques en soulevèrent jadis cérémonieusement le marteau ! » Je m’approchais alors, et presque toujours d’intéressantes boiseries me prouvaient que je ne m’étais pas trompé.

Avignon est une ville italienne du moyen âge. Elle a, comme Sienne, Padoue et Vérone, sa physionomie, son pittoresque, elle a surtout son palais des papes, qui vient mêler à tous ces agrémens du climat et des arts un caractère de grandeur propre à l’histoire. Terrible et menaçant comme le pouvoir pontifical au xive siècle, absolu comme le dogme, se dresse le colossal quadrilatère de tours et de remparts. L’impression est celle qu’on aurait en présence d’un monument cyclopéen ; vous pensez tout de suite au poids écrasant dont cette masse doit peser sur le sol qui pourtant ne s’effondre pas, car c’est le rocher même qui sert de fondations à cet entassement gigantesque, c’est sur le roc naturel que ce roc architectural se superpose. Rien au dehors pour égayer un peu cette physionomie exclusivement dominatrice, pas un ornement, pas un feston, nulle

  1. Louis de Rochau, Voyage en Espagne et dans le midi de la France, 1849.