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élèves, parmi lesquelles étaient sa fille mariée à un sergent du Châtelet et quelques gardes-malades. Cette bande existait déjà en 1672, lorsque l’une des associées blessa mortellement Mlle de Guerchy, fille d’honneur de la reine-mère, qui fut achevée d’un coup de pistolet par Vitry, son amant, pour mettre un terme à ses souffrances. On évalue à plus de 10,000 le nombre des avortemens dont la Lepère et ses complices se sont rendues coupables, et à plus de 2,500 le nombre des avortons brûlés par la Voisin pour en faire servir les cendres à des compositions magiques : celle-ci avait amassé plus de 100,000 écus, et se disposait à quitter la France pour aller vivre de ses rentes en lieu sûr sous un nom supposé, comme le faisaient d’habitude les empoisonneuses et les pythonisses après fortune faite, quand elles ne se retiraient pas dans un couvent; mais la police, avertie à temps, mit bon ordre au voyage, et le 22 février 1680 la Voisin fut brûlée en place de Grève, après avoir la veille soupe de bon appétit et chanté par dérision des hymnes religieuses, ce qui a fait dire à Mme de Sévigné qu’elle donna gentiment son âme au diable.

Une douzaine de prêtres environ, dont l’un janséniste, sont mêlés aux crimes déférés à la chambre ardente. Le plus redoutable de tous, « connaissant et étant connu de tout ce qu’il y avait de scélérats, empoisonneur artiste, dit M. de La Reynie, était un abbé Guibourg, qui se prétendait fils de M. de Montmorency. » C’est lui qui paraît avoir mis à la mode les messes diaboliques dont il est à tout instant question dans les Archives. Une femme voulait-elle inspirer de l’amour, rendre un amant fidèle, se débarrasser d’un mari, elle faisait dire une messe soit à la campagne dans un château, soit à Paris chez une pythonisse, quelquefois même dans un caveau ou quelque masure abandonnée. En certains cas, le prêtre qui se livrait à ces pratiques sacrilèges suivait tout simplement le rituel, et se bornait à baptiser des fœtus, comme l’abbé Darot, à consacrer des couleuvres, des crapauds, des os de morts réduits en poudre, des fragmens de prétendues cordes de pendus pour en faire des talismans ou des filtres dans lesquels on mêlait des hosties[1]. C’était cependant là ce qu’il y avait de moins odieux; le plus souvent on ajoutait aux rites sataniques les formalités les plus obscènes. La fille de la Voisin elle-même nous apprend dans son interrogatoire comment l’abbé Guibourg officiait chez sa mère. « L’autel, dit-elle, se faisait sur des sièges sur lesquels on mettait des matelas; la femme sur le ventre de laquelle la messe devait être dite était mise toute nue, les jambes pendantes en bas et ayant

  1. Archives, t. VI, p. 43, 59, 82, 218, 249, 252, 259, 311, 445.