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dans la vérité. Au moyen âge, on les avait persécutés comme sorciers ou faux-monnayeurs ; au XVIe siècle, les rois les appelèrent auprès d’eux afin de remplir les caisses vides de leurs trésoriers. Charles IX donna 120,000 livres à Jean des Galans, sieur de Pézerolles, et le fit opérer sous ses yeux dans un laboratoire du Louvre; mais, au lieu de faire de l’or, Pézerolles prit la fuite en emportant celui qu’il avait reçu, et depuis, lorsque le gouvernement royal recourait aux alchimistes, il avait la précaution de les tenir sous clé. Louis XIV, dans les jours de détresse, si nombreux sous son règne, usa plus d’une fois pour battre monnaie de ce procédé peu dispendieux. Il envoya des alchimistes à la Bastille étudier les formules du Psautier d’Hermophile, du Livre de lumière et de l’Apocalypse chimique, en mettant à leur disposition le soufre, l’étain, l’antimoine, et tous les ingrédiens nécessaires à la confection du grand œuvre; mais l’or ne se faisait pas, et la police, toujours défiante, finit par reconnaître que la plupart des souffleurs, comme on disait au XVIIe siècle, n’étaient que des scélérats qui s’abritaient derrière une prétendue science. On visita leurs officines; au lieu de trésors, on y trouva des poisons, et cette recherche mit sur la trace des malfaiteurs qui épouvantaient la France entière.


III.

Le siècle de Louis XIV devait avoir le privilège des grands crimes, comme il eut celui de toutes les gloires, et par certains côtés il offre une analogie frappante avec la société romaine au temps de la décadence. Les mathématiciens, — c’est le nom que Tacite donne aux sorciers, — les devins, les pythonisses, affluent de toutes les parties du monde dans la ville des césars, comme les ruisseaux de Rome dans l’égoût des Tarquins. Il en est de même dans le Paris du grand roi. Locuste renaît dans la Brinvilliers, Vanens, La Chaussée, le chirurgien Dalmas, Glazer, l’apothicaire de Fouquet, le chanoine Dulong, Sainte-Croix, la Voisin; la fureur des empoisonnemens se répand comme une contagion.

Dans les quartiers éloignés du centre, au pied des remparts, à l’extrémité des faubourgs, s’élevaient de petites maisons isolées, habitées par des femmes qui faisaient profession de prédire l’avenir; les grandes dames et les bourgeoises allaient en foule les consulter, le soir ou de grand matin, la figure cachée sous un masque ou dissimulée sous les dentelles de la coiffure. A celles qui se plaignaient d’un mari jaloux ou tyrannique, la pythonisse conseillait des neuvaines à saint Gervais ou à saint Antoine de Padoue, qui avaient la spécialité de rendre les hommes aimables et généreux. Elle ne