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trente et un ans. C’est ainsi que le collège de Clermont s’est appelé Louis-le-Grand.

Lorsqu’il ne s’agissait que de délits de droit commun, qui ne touchaient ni à la religion ni à la majesté royale, la détention était généralement limitée à quelques semaines ou à quelques mois; mais, quand la raison d’état ou le catholicisme était en jeu, Louis XIV ne pardonnait jamais. La séquestration était alors absolue et perpétuelle ; le crédit des familles et des maîtresses elles-mêmes était impuissant à fléchir le maître, et le surintendant Fouquet en offre un exemple célèbre. Comme le masque de fer, il est mort dans sa prison, sans avoir jamais excité le moindre sentiment de pitié dans le cœur du roi, malgré tous les appels faits à la clémence.

La catastrophe qui a ruiné la fortune de Fouquet est trop connue pour qu’il soit besoin d’y revenir ici, et tout se réduit, au point de vue particulier du sujet qui nous occupe, à cette simple question : « Louis XIV, en faisant conduire Fouquet à la Bastille, en chargeant la chambre de l’Arsenal d’instruire son procès, a-t-il violé les règles de la justice? Le surintendant était-il ou non coupable de concussion et de vol? » Si nous interrogeons les documens contemporains, Mme de Motteville et Bussy par exemple se prononceront contre lui ; d’autres au contraire, tels que Pélisson, Corneille, La Fontaine, affirmeront son innocence. Aujourd’hui même des écrivains sérieux s’obstinent à voir en lui une victime des rancunes du grand roi, parce qu’il avait tenté la fidélité de La Vallière par une offre de 120,000 écus, — de la haine de Colbert, qui le détestait, parce qu’il avait rempli sous ses ordres les modestes fonctions de commis, — de l’ambition de Pussort, qui voulait se faire donner sa charge. Les Archives de la Bastille, en plaçant sous nos yeux toutes les pièces du procès, fixent définitivement l’opinion ; elles ne permettent plus de discuter sa culpabilité, et voici ce qu’elles nous apprennent.

D’après les règles établies sous Henri IV, des fonds spéciaux étaient affectés à chaque catégorie particulière de dépenses. Fouquet, contrairement à ces règles, opérait de continuels viremens pour embrouiller sa comptabilité et faisait au besoin disparaître les pièces qui pouvaient le compromettre. Il délivrait aux créanciers de l’état des mandats à vue sur les trésoriers; ceux-ci, au lieu d’acquitter les mandats en espèces, donnaient en échange des billets sur les fermiers-généraux ou les contribuables en retard. Ces billets revenaient très souvent protestés; on les remplaçait alors par un nouveau papier qui ne valait pas mieux, et, comme les porteurs ne pouvaient se faire payer, ils négociaient à vil prix leurs titres de créance sur la place. Fouquet les rachetait presque pour rien; il les portait en compte et se les faisait rembourser intégralement. Les