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une demoiselle Malherbe qui se vantait d’être sorcière et d’avoir épousé le diable. Comme les trois possédées de Flandre, dont Bélèze a raconté la fantastique légende dans l’un des livres les plus absurdes qui aient été écrits dans aucun temps, la demoiselle Malherbe prétendait avoir assisté au sabbat. Elle s’était assise à la table maudite pour y manger des aspics, des basilics et des serpens, et par la volonté de Dieu elle avait fait divorce avec le diable pour entrer dans la cabale de Simon Morin, le messie d’une révélation nouvelle. Celui-ci prétendait que le Christ était ressuscité en lui pour détruire la grande Babylone, c’est-à-dire l’église romaine, et renverser le pape, qui n’était autre que la bête de l’Apocalypse. La vierge Marie était en même temps ressuscitée dans sa femme, et il ne passait jamais devant elle sans se mettre en adoration. En 1647, il avait publié, sous le titre de Pensées, un livre dans lequel il enseignait que les plus grands péchés ne font point perdre la grâce, que saint Paul a succombé aux tentations de la chair, que l’on peut manger avant la communion, et que « Jésus-Christ se trouve mieux sous le pain des croix que sous le lait du pain. » On tira ces absurdes rêveries de l’oubli dans lequel elles étaient tombées. Desmarets proposa de lever une armée de 144,000 hommes pour exterminer une secte qui menaçait, disait-il, le royaume de France d’une destruction prochaine, et le parlement crut sauver la religion et l’état en traduisant à sa barre Morin, son fils, sa femme, le maître d’école et les deux prêtres qui composaient toute la secte. Les archives reproduisent les interrogatoires ; l’une des plus graves accusations portées contre Morin est d’avoir dit dans ses Pensées que « Dieu n’était pas une hostie molle, » et le cœur se serre quand on songe que, vingt ans après la publication de la Méthode, il a suffi de cette phrase et de quelques autres sottises de la même force pour que la première cour du royaume fît périr dans l’affreux supplice du bûcher un malheureux dont le seul crime était d’être fou. Louis XIV, qui s’était montré si indulgent pour le marquis de l’Hospital, laissa consommer l’immolation, et cet acte d’inflexible rigueur annonça aux dissidens religieux les persécutions qui les attendaient dans un avenir prochain.

Les plus curieuses révélations se rencontrent à chaque page sur les mœurs, l’administration, la justice, et la façon dont Louis XIV et ses ministres comprenaient les garanties individuelles. L’intendant des bâtimens du roi, le sieur Varin, veut faire de son fils un ecclésiastique. Celui-ci résiste; on l’envoie à la Bastille pour le préparer au sacerdoce. Un épicier, Niceron, se permet de protester contre le monopole du commerce des huiles de baleine, exploité par des personnages en crédit : on l’envoie à la Bastille. Les députés