Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tels sont les principaux faits qui se rattachent à l’histoire générale de la Bastille. Nous allons maintenant pénétrer dans les cellules. Quand un ordre du roi enverra les détenus devant la chambre ardente, nous les suivrons auprès des juges.


II.

Ce qui frappe tout d’abord quand on parcourt les registres d’écrou de la Bastille et les pièces relatives aux ordres d’incarcération et aux procédures, c’est de voir combien le gouvernement et les sujets étaient étrangers au respect des lois. Les nobles violent à tout instant les édits sur les duels ; le carrosse du marquis de Villequier heurte dans la rue des Vieilles-Haudriettes le carrosse du duc d’Elbeuf; les laquais en viennent aux mains, les maîtres à leur tour mettent pied à terre, et le combat s’engage au milieu des passans. Villequier est mis à la Bastille ; les maréchaux de France, à la juridiction desquels ces sortes d’affaires étaient déférées, décident qu’il y a eu non pas duel, mais simple rencontre; l’ordre de sortie est signé. La noblesse continue de se battre, et les édits sont toujours appliqués de la même façon. René de L’Hospital, marquis de Choisy, exerce contre les manans de son domaine les plus indignes vexations. Un curé du voisinage signale sa conduite au prône. Le marquis, escorté de deux de ses pages, se met en embuscade sur le chemin que suivait ordinairement le curé ; il l’aperçoit qui s’avance en compagnie d’un paysan ; il tue d’abord le paysan, blesse le malheureux curé, qui tombe en recommandant son âme à Dieu. — Tiens, lui dit le marquis, voilà ton reste ; — il lui brise la mâchoire d’un coup de mousqueton, et, pour s’assurer qu’il est mort, il le foule aux pieds de son cheval et lui enfonce son épée dans les reins. Le clergé prend fait et cause pour la victime, et réclame des poursuites : l’assassin est traduit devant le parlement; mais la famille était puissante, et, pour le placer sous la main du roi, elle obtint qu’il serait transféré à la Bastille. Il y entra le 30 juin 1659, et en sortit quelques jours après, muni de lettres d’abolition parfaitement en règle. Il en fut de même du chevalier de Grancey. Celui-ci, jugeant que Mlle de Nonant lui convenait sous tous les rapports pour en faire sa femme, trouva tout simple de l’enlever de vive force avec sa mère, et de la conduire en Normandie, dans le château de son père, pour y conclure le mariage. La famille porta plainte; un