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justice du roi. » Sous les derniers Bourbons, cette justice, suivant le bon plaisir du prince, remplaça les formes légales par les lettres de cachet.

Lorsque le roi voulait prévenir ou punir, il faisait écrire ces simples mots : « Il est ordonné d’arrêter le sieur un tel et de le conduire à la Bastille. Enjoint sa majesté au gouverneur de le garder jusqu’à nouvel ordre. » Sa majesté signait, un ministre contre-signait. Lorsque l’ordre d’incarcération concernait un personnage de qualité, des mousquetaires lui portaient la lettre comme les esclaves de Tibère portaient le laqueum aux victimes de Séjan. Lorsqu’il concernait au contraire un bourgeois de peu de conséquence, les sergens ou les archers du guet étaient chargés de l’arrestation avec ordre exprès d’agir le plus promptement et le plus discrètement possible pour ne pas ébruiter l’affaire. Ils guettaient leur homme généralement à la tombée de la nuit, le touchaient avec une petite baguette blanche, et dès ce moment il appartenait au roi. Une voiture se tenait là toute prête, et partait au plus vite pour la destination assignée; en cas de résistance, ce qui du reste était très rare, car la lettre de cachet produisait la stupeur, une escouade d’archers cachée aux environs venait prêter main-forte. Au moment où la voiture arrivait à la première enceinte, la sentinelle avancée criait : « qui vive? » — L’un des agens répondait : « ordre du roi; » un sous-officier venait reconnaître et faisait entrer en sonnant une cloche pour avertir l’état-major. Deux officiers recevaient le prisonnier à la descente de la voiture en présence de la garnison sous les armes. Ils le conduisaient ensuite au gouverneur, qui donnait un reçu à ceux qui l’avaient amené et désignait la pièce qu’il devait occuper. Les nobles étaient logés dans les bâtimens intérieurs, les bourgeois dans les tours.

Les prisonniers se divisaient en deux classes : les uns, enfermés pour cause de correction ou de précaution, ne donnaient lieu à aucune enquête, à aucun jugement; on se bornait à les retenir sous clé par mesure de sûreté. Les autres, reconnus coupables de crimes ou de délits graves, pouvaient, selon qu’il plaisait au roi, rester indéfiniment sous les verrous sans qu’il eût été prononcé contre eux aucun arrêt légal, ou se voir tantôt traduits à la barre du parlement, tantôt déférés à des commissions extraordinaires qui se réunissaient à l’Arsenal et procédaient à l’instruction. La culpabilité une fois établie, les détenus étaient écroués non plus au nom du roi, mais au nom de la commission, et la procédure avait lieu suivant les formalités habituelles. Quelque nombreux que fussent les crimes commis par le même accusé, l’arrêt n’en relatait jamais qu’un seul, sous prétexte qu’il y avait danger pour la société, l’honneur des