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dans des troupes de défense de notre littoral, serait tourner la question et nullement la résoudre, si ces officiers gardaient leurs droits à l’embarquement. Ramener par la voie si lente de l’extinction les cadres, non pas même aux chiffres qui leur ont été fixés en 1871, et qui sont encore trop élevés, mais aux proportions normales, qui, en satisfaisant aux exigences de la guerre, permettraient à nos officiers pendant la paix d’être le plus longtemps possible à la mer, leur seule école, ce serait méconnaître la gravité du mal et lui laisser le temps de produire ses effets les plus désastreux. Nous croirions faire une large part aux exigences de la guerre en supposant qu’elle nécessiterait la présence à la mer de 30 capitaines de vaisseau, de 100 capitaines de frégate, de 4OO lieutenans de vaisseau, de 300 enseignes ; dès lors, en nous reportant à la situation actuelle, le chiffre normal de chacun des cadres semble devoir être : 60 capitaines de vaisseau, 150 capitaines de frégate, 600 lieutenans de vaisseau, 450 enseignes ; ces chiffres impliquent des réductions considérables.

Quand on lit attentivement la discussion du 5 décembre 1872, où la question fut incidemment soumise à l’assemblée nationale, on voit que la discussion a porté avant tout sur la situation financière : la poursuite d’économies insignifiantes a sûrement entraîné la majorité, mais la question n’a pas été traitée à fond. « Si vous voulez conserver notre marine, disait en terminant l’éloquent défenseur du maintien des cadres actuels, consentez, je le veux bien, à quelques réductions sur le matériel, mais, je vous en conjure, ne touchez pas au personnel, car c’est l’âme même de notre puissance. » Oui, sans doute, c’est l’âme de notre marine, et c’est pour cela même qu’il faut que notre personnel ait les moyens de se maintenir à la hauteur de sa tâche, c’est-à-dire de naviguer, de vivre comme autrefois à la mer, et c’est pour cela qu’il est nécessaire de le réduire, puisqu’on ne peut augmenter le nombre des navires composant notre flotte active, que par une singulière inconséquence vous consentez vous-même à diminuer encore. C’est parce que, si ce personnel est trop nombreux, comme le disait avec une fermeté méritoire le vice-amiral Pothuau, « ce personnel, qui a besoin d’être marin et exercé, ne trouvant plus que rarement l’occasion de naviguer, désapprend son métier, » qu’il faut y toucher d’une main ferme autant que juste, et le ramener, si ce n’est par d’autres moyens, par une réduction des cadres, à ses proportions normales, celles qui lui permettront de garder la valeur qu’il a aujourd’hui et qu’il perd chaque jour. Les chiffres que nous avons établis sur des documens officiels, ces dix années d’inaction à laquelle sont aujourd’hui condamnés les cinq sixièmes de nos officiers supérieurs, parlent plus haut que les phrases les plus éloquentes.