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forcent les navires de blocus, pour prolonger leur croisière, pour ménager leur charbon et leurs machines, à rester sous petite vitesse, ne permettraient pas aux blockade-runners de réussir en plein jour et devant les croiseurs ennemis.

Si ces considérations ou plutôt les faits que nous avons rappelés font regarder comme justes les conclusions que nous en avons tirées, en démontrant l’impuissance d’une marine victorieuse à maintenir effectif le blocus des rivages ennemis, et par suite à protéger le commerce national contre des corsaires que leur rapidité fait insaisissables, on est conduit à prévoir les changemens que cette double impuissance entraîne avec elle dans les résultats positifs d’une victoire navale, quelque complète qu’on la suppose. En tout cas, ces considérations, ces faits, nous paraissent justifier le système adopté par les États-Unis pour la constitution de leur marine de guerre malgré des plaintes et des réclamations à première vue si légitimées ; on s’explique aussi comment le cabinet de Washington, en apparence désarmé, n’a point hésité à poursuivre la revendication de ses droits dans cette affaire de l’Alabama, d’où à chaque instant pouvait surgir la guerre contre l’Angleterre. Les États-Unis n’ont pas de colonies, et la seule raison d’être de leur marine est la protection de leur commerce. Les conséquences inévitables de cette guerre étaient la ruine certaine de leur marine marchande, de leur marine militaire, si elle eût entrepris de la défendre : ils le savaient sans nul doute ; mais n’étaient-ils pas assurés également de frapper de mort, par leurs croiseurs, par leurs corsaires, par leurs alabamas, le commerce maritime de l’Angleterre ? Et alors de quel côté étaient les plus grands risques ? À cette terrible partie de la guerre, laquelle des deux nations mettait le plus gros enjeu ? Les États-Unis d’Amérique peuvent vivre de leur vie propre, continentale pour ainsi dire ; l’Angleterre n’existe, n’est elle-même, que par son industrie et ses relations extérieures : aussi, sans méconnaître que le sentiment de la justice et du droit ait puissamment agi sur les ministres anglais à cette époque, il est permis de croire que la prévision des périls suprêmes où une telle guerre aurait jeté leur patrie n’a pas peu contribué à incliner leur volonté vers une solution pacifique, quelque sacrifice qu’elle imposât à l’orgueil national.

La France n’étant pas, comme l’Angleterre, une nation dont l’existence même est liée à sa suprématie maritime, ses colonies d’outre-mer étant sans importance et ses intérêts maritimes commerciaux bien inférieurs à ceux des États-Unis, il semble dès maintenant possible d’affirmer que la véritable sagesse aussi bien que l’intelligente prévision de l’avenir réservé à la marine cuirassée, tel qu’il apparaît aux meilleurs esprits, aurait dû nous conduire dans le