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furent appelées par M. Lincoln. Cette armée fut placée sous les ordres directs du congrès, qui partageait avec les états les dépenses de solde et d’équipement. Le contingent de chaque état fut fixé à un certain nombre de bataillons dont l’autorité locale nommait les officiers, et, si les engagemens volontaires ne suffisaient pas, le chiffre de l’effectif était complété par une conscription pesant exclusivement sur la milice. Celle-ci ne se composait elle-même en réalité que d’engagés volontaires. Il est vrai que la loi, comme en Angleterre, permettait, en dernier ressort, d’avoir recours pour la former à une conscription générale; mais cette mesure, appliquée une fois en Virginie, y suscita de tels troubles, qu’il fallut y renoncer. Le congrès, tout en ayant soin d’embrigader ensemble des bataillons d’un même état, se réserva la formation des armées, la confirmation des grades inférieurs et la nomination de l’état-major général. Cette armée compta d’abord quatre-vingt-huit bataillons de 750 hommes : son organisation et les grades qui y étaient conférés devaient durer aussi longtemps que la guerre; mais on ne put obtenir d’engagemens pour un terme aussi incertain, et il fallut d’abord les réduire à un an. Aussi, la misère du pays aidant, les difficultés qu’on avait voulu éviter reparurent-elles bientôt. Pour stimuler les rengagemens, on éleva la solde et on promit des primes en argent à l’entrée au service, en terres à la sortie. Washington signalait en vain les inconvéniens de ce système, qui mêlait la spéculation au noble et rude métier des armes. On avait besoin d’hommes, et les états, craignant l’impopularité de la conscription, renchérissaient au contraire sur les offres du congrès. Il en résulta que l’appât d’une nouvelle prime fit rechercher aux volontaires l’occasion de se rengager en abrégeant leur temps de service. On avait fini par obtenir d’eux un engagement « pour trois ans ou pour la durée de la guerre. » Les trois ans expirèrent le 1er janvier 1781; la guerre semblait loin de sa fin. Les soldats pensylvaniens soutinrent qu’ils n’étaient engagés que pour trois ans, les termes « ou la durée de la guerre » signifiant seulement d’après eux que, si la guerre avait été terminée auparavant, leur temps de service aurait été abrégé. Les officiers voyaient au contraire dans ces mots l’engagement de rester pendant trois ans au moins sous les drapeaux, et plus si la guerre durait davantage. Cette question de grammaire fit presque couler le sang : il fallut se rendre aux exigences des volontaires, et leur interprétation fut définitivement adoptée; mais l’atteinte portée à la discipline fut profonde et durable.

Les injustes rivalités, les mesquines jalousies, n’épargnèrent pas non plus les soldats les plus illustres de la guerre de l’indépendance; elles sont de tous les temps et de tous les pays, et les Américains