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hollandaise sera imposée directement, au besoin par la force. C’est ce qui arrivera nécessairement au territoire proprement dit d’Atchin. Il ne peut plus être question de conclure un traité quelconque avec le sultan d’Atchin. Il n’y a plus de sultan, les chefs n’ont pas encore pu se mettre d’accord pour donner un successeur au pauvre Mahmoud-Aladdin, mort victime d’une situation qu’il n’avait pas faite, et quand ils en nommeraient un, la Néerlande ne reconnaîtrait pas ce roi sans terre et ce chef sans armée. Peu à peu dans ce territoire comme dans le reste de l’île, à la vue de la prospérité des états soumis à l’influence européenne et de la loyauté avec laquelle les vainqueurs tiendront leur promesse de respecter la liberté religieuse et les lois traditionnelles des vaincus, les préjugés invétérés tomberont, et le rapprochement s’opérera de lui-même. En résumé, l’île de Sumatra tout entière fait désormais partie intégrante des Indes néerlandaises, voilà le résultat le plus clair et le plus significatif de cette double campagne.

On exprime parfois la crainte que l’empire colonial néerlandais ne devienne disproportionné aux forces du pays qui le possède. L’extension pour ainsi dire illimitée semble être la loi de ces grandes possessions lointaines. L’Angleterre la subit aux Indes, nous sommes exposés à la subir nous-mêmes en Cochinchine, et nous avons dû nous y plier en Algérie. Déjà, dira-t-on, l’empire indien de la Néerlande était bien grand pour elle, on pouvait se demander si elle pourrait le conserver. Jusqu’à présent, répondrons-nous, elle a parfaitement réussi à maintenir et même à consolider sa domination ; mais surtout il faut remarquer que la Néerlande jouit d’un grand avantage que l’Angleterre ne possède pas plus dans l’Hindoustan que nous en Algérie. Son empire indien est un archipel. Les limites de son extension sont fixées d’avance. En admettant qu’elle doive un jour faire à Bornéo ce qu’elle vient d’achever à Sumatra, la mer lui servira toujours de frontière. Rien donc ne lui défend d’espérer qu’à la condition de bonnes mesures administratives et commerciales elle pourra toujours maintenir la suprématie de son pavillon sur le nombre déterminé d’îles grandes et petites qui rayonnent autour de Batavia.

Il est facile de comprendre l’émotion joyeuse qui s’empara du peuple hollandais le jour où l’heureuse nouvelle de la prise du Kraton parvint en Europe. La guerre avait été coûteuse et sanglante[1], mais on se sentait soulagé d’un poids humiliant et pénible.

  1. Quoique le nombre des tués et des blessés dans les deux expéditions d’Atchin ait été très considérable (on n’en sait pas encore le chiffre exact en Hollande même), il a été encore, et de beaucoup, surpassé par celui des soldats morts victimes des maladies, surtout du choléra. Les pertes eussent été bien plus graves encore sans le zèle déployé par la société néerlandaise de la Croix-Rouge, qui n’a rien épargné pour diminuer le tribut que prélève la mort sur les armées engagées dans ces rudes expéditions. Dans les communications adressées au comité central de Genève par le président néerlandais, M. le général de Stuers, nous remarquons l’éloge et le dessin d’un nouveau système de brancard pour transporter les blessés sur les champs de bataille. Il est emprunté au tandon chinois et se compose essentiellement d’une sorte de hamac suspendu à un fort bambou que deux hommes portent sur leurs épaules aux deux extrémités. Deux bambous creux, contenant de l’eau, sont suspendus à la tête et aux pieds du blessé, et les porteurs peuvent se reposer en plaçant le tout sur deux bâtons plantés en terre. On peut, au moyen d’une sorte de dais, abriter le blessé contre les rayons du soleil. Ce système paraît se recommander par sa légèreté et sa commodité.