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les précédens de 1861, et, dans les armées peu nombreuses du siècle dernier, le modèle de celles qui de nos jours ont pris part à la guerre civile.

Mais il nous faut d’abord montrer certaines différences importantes qui distinguent et les deux guerres et les conditions dans lesquelles elles furent entreprises. En effet, c’est pour n’avoir pas tenu compte de ces différences que bien des gens ont vu l’issue de la dernière lutte démentir leurs prévisions. Parce que les treize colonies avaient lassé les efforts de l’Angleterre, ils crurent que les états confédérés viendraient à bout des forces du nord. Heureusement la comparaison entre le généreux mouvement de 1775 et la prise d’armes des propriétaires d’esclaves en 1861 était aussi fausse au point de vue militaire qu’au point de vue politique.

Le jour où les colonies repoussèrent l’autorité de la métropole, tous les points stratégiques de leur territoire étaient occupés par les Anglais. Il fallait donc tout conquérir; elles n’avaient rien à perdre et ne pouvaient se tenir pour battues alors même que l’ennemi était encore au cœur du pays. En 1861 au contraire, les confédérés, maîtres de tout le territoire qu’ils prétendaient soustraire au pouvoir légal du nouveau président, avaient besoin de cette vaste contrée, d’une part pour maintenir l’institution de l’esclavage, et de l’autre pour entretenir leurs nombreuses armées : lorsqu’elle fut envahie, ils se sentirent vaincus. Ce qui était possible dans la guerre de l’indépendance, où le nombre des combattans était restreint, ne l’était plus alors. Washington et Gates, Howe et Cornwallis, n’avaient d’ordinaire sous leurs ordres que 10 ou 15 et bien rarement 20,000 hommes. Ces petites armées pouvaient vivre sur le pays qu’elles occupaient. Ce ne fut pas toujours sans peine, il est vrai, et les soldats de Washington souffrirent cruellement dans l’hiver qu’ils passèrent à Valley-Forge. L’armée anglaise traversant une contrée relativement riche, de Philadelphie à New-York, fut contrainte d’emporter ses vivres avec elle, et Cornwallis perdit tous ses bagages dans la Caroline du nord, qu’il parcourait en vainqueur; mais ni les uns ni les autres n’étaient assujettis au vaste système d’approvisionnemens qui suppose une base d’opérations fixe et assurée, et sans lequel on ne peut faire vivre en Amérique de nombreuses armées. Ils subsistaient, marchaient et séjournaient de longs mois à côté d’un ennemi maître du pays.

Si l’on voulait faire un rapprochement entre les deux guerres, ce sont les armées du nord, et non celles du sud, qu’il faudrait comparer aux volontaires qui affranchirent l’Amérique. Les conscrits confédérés, d’une bravoure impétueuse, rompus à l’obéissance et suivant aveuglément leurs chefs, mais dépourvus individuellement