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troupes auxiliaires : comme elles formaient le complément de la légion, il était naturel qu’elles fussent établies auprès d’elle.

Dans les environs de Lambèse, les inscriptions sont nombreuses; elles complètent celles que M. Mommsen a recueillies sur les bords du Danube, et les unes et les autres nous permettent de prendre quelque idée de l’existence qu’on menait dans les camps romains. Nous voyons que la vie y était fort occupée. Tout le temps que laissaient les exercices militaires était employé à d’autres travaux; l’armée construisait des routes, réparait des aqueducs, creusait des canaux, bâtissait des ponts, ou même élevait des temples et des monumens de tout genre. Tenir toujours les soldats en haleine était la maxime des bons généraux, et Tacite fait remarquer qu’ils ne se sont jamais mutinés que quand ils n’avaient rien à faire. Cependant on leur permettait aussi d’égayer par des plaisirs leur rude condition. Il fallait bien leur donner quelque relâche et quelque repos. Depuis que les armées étaient devenues permanentes, c’était une carrière et non un accident que la vie militaire. Les soldats devaient servir vingt-cinq ans dans les légions, mais quelquefois ils y restaient bien davantage. Certains empereurs, comme Tibère, ne pouvaient jamais se résoudre à leur donner leur congé; ils les gardaient longtemps encore après que leur temps de service était fini, et en formaient des compagnies de vétérans. L’existence entière se passait donc sous les drapeaux; on entrait dans le camp à la fleur de l’âge, vers dix-huit ou vingt ans, et l’on n’en sortait qu’après que la vieillesse était déjà venue. Il n’est pas surprenant qu’on se soit arrangé pour y trouver quelques distractions et quelque bien-être. Les officiers et les sous-officiers formaient des sociétés qui possédaient une caisse commune et se construisaient dans le camp même des lieux de réunion. Quant aux soldats, ils devaient trouver des plaisirs de tout genre dans les canabœ, qu’ils fréquentaient sans doute très volontiers. On permettait aux provinciaux enrôlés dans les troupes auxiliaires d’emmener leurs femmes avec eux ou de se marier pendant leur service. Les légionnaires n’avaient pas le même privilège; mais les canabœ contenaient une population fort mélangée, il s’y trouvait des femmes avec lesquelles les soldats formaient souvent des liaisons durables, qu’ils régularisaient ensuite par le mariage quand ils avaient obtenu leur congé. Pendant la république, les généraux rigoureux ne voyaient pas ces liaisons avec plaisir. Scipion Émilien, en Espagne chassa toutes les femmes qui s’étaient établies autour de ses légions, et les historiens disent qu’il y en avait plus de 2,000. On fut plus indulgent sous l’empire, l’empereur Septime-Sévère finit même par autoriser les soldats à garder avec eux leurs épouses ou leurs concubines; dès lors ils habitèrent