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thermes, des ponts, des grands chemins, des aqueducs, qui les frappent de la plus vive admiration. Presque tous ces monumens datent des premiers siècles de l’empire; ils nous donnent l’idée d’une merveilleuse prospérité. Jamais le monde n’a été, sinon plus heureux, au moins plus riche, et il n’est guère possible d’admettre que des villes qui ont trouvé assez de ressources dans leurs finances pour construire ces magnifiques édifices aient été aussi rançonnées et appauvries qu’on le prétend par les proconsuls romains. Nous avons grand’peine à prendre Juvénal au sérieux quand il vient nous dire du temps d’Hadrien, au moment où s’élevaient tous ces somptueux monumens, que le monde est ruiné, et qu’on a tant volé les peuples vaincus qu’il ne reste chez eux plus rien à prendre. Il y a plus de vérité et de justice dans ce tableau que traçait le rhéteur Aristide vers le milieu du second siècle. « Toute la terre, disait-il, est en habits de fête. Elle a quitté son ancien costume de combat, et ne rêve que magnificences, parures et plaisirs de toute espèce. Les vieilles querelles ont cessé entre les villes, elles ne rivalisent plus entre elles que de magnificence et de luxe, chacune veut paraître plus belle que ses voisines. Tout est rempli partout de gymnases, de fontaines, de propylées, de temples, d’ateliers et d’écoles, et il semble qu’après une longue maladie l’univers est revenu à la santé. Les bienfaits des Romains sont si également répandus partout qu’on ne peut pas dire quels sont ceux qui en reçoivent une meilleure part. Toutes les villes en sont comblées, toutes sont radieuses d’élégance et de splendeur, et la terre entière est ornée comme un vaste jardin. »

Il est vrai que c’est un rhéteur qui parle, et l’on pourrait croire que, fidèle à ses habitudes, il exagère et déclame, si nous ne possédions un document officiel qui nous permet d’affirmer qu’il n’a dit que la vérité. C’est la correspondance que Pline entretint avec Trajan pendant qu’il était gouverneur de la Bithynie. On y voit que toutes les villes de cette province n’étaient occupées qu’à s’embellir. Les habitans de Pruse voulaient se construire des bains « dont la magnificence répondît à la beauté de leur ville et à l’éclat du siècle; » ceux de Sinope faisaient venir de l’eau d’une distance de plus de 20 kilomètres. A Nicomédie, un aqueduc avait coûté près de 7 millions de francs ; avant qu’il ne fût terminé, on en avait entrepris un autre, et l’on songeait à en commencer un troisième. Nicée construisait à la fois un théâtre pour lequel on avait déjà dépensé 2 millions et un immense gymnase qui devait être surmonté d’un portique si élevé que des murailles de 7 mètres de profondeur n’étaient pas jugées assez solides pour le soutenir. Il régnait donc alors dans tout l’empire un goût de magnificence qui suppose qu’il était