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est assurément la protestation la plus sanglante contre cette « paix romaine » dont les écrivains de l’empire nous font d’ordinaire de si beaux tableaux. On pourrait s’en servir pour condamner sévèrement l’administration impériale, si l’on ne se souvenait que Tacite s’est montré ailleurs bien moins rigoureux. Il s’est chargé de répondre lui-même aux invectives de Galgacus et de justifier ses compatriotes dans les belles paroles qu’il prête à Cerialis. Le légat impérial rappelle aux habitans de Trêves qu’il vient de vaincre en quel état la conquête romaine a trouvé la Gaule, «fatiguée de discordes, épuisée de guerres intestines, » appelant l’étranger à son aide. Rome n’a donc rien détruit qui méritât de vivre, elle a remplacé partout le désordre et l’anarchie. Victorieuse, elle n’a imposé aux vaincus que les charges nécessaires au maintien de la paix; elle les accepte dans ses armées, elle ouvre aux meilleurs d’entre eux les rangs de son aristocratie, elle les recevra bientôt tous à la fois parmi ses citoyens. C’est elle qui défend partout le repos, la sécurité, le bien-être; sans elle, tout retomberait dans ce chaos de discordes et de luttes dont elle a tiré le monde. « Rome une fois vaincue (veuillent les dieux empêcher ce malheur! ), que verrait-on sur la terre, si ce n’est une guerre universelle entre les nations? Huit cents ans de fortune et de sagesse ont élevé ce vaste édifice ; on ne saurait l’ébranler sans être écrasé sous sa chute. » Ne dirait-on pas que Tacite a vu clairement d’avance, l’effroyable anarchie qui devait succéder à la ruine de l’empire?

On pourrait donc établir par l’étude des institutions impériales et la lecture des historiens romains que les provinces ont été en général plus heureuses et mieux traitées sous l’empire que pendant la république; mais on possède de leur prospérité des témoignages encore plus certains. Nous avons dit plus haut que les inscriptions nous font mieux pénétrer que tout le reste dans la vie de ces sociétés anciennes : celles qui nous ont été conservées des contrées asiatiques et qu’on peut lire dans le recueil de M. Mommsen et dans celui de M. Waddington nous montrent de quelle façon s’y passait alors l’existence. Elle y était en général aisée et douce; nulle part on ne trouve la trace de ces sentimens d’amertume et de colère qui, selon quelques écrivains, remplissaient le cœur des sujets de Rome. On avait partout un grand souci des affaires municipales; celles de l’empire occupaient beaucoup moins. Le contre-coup des révolutions qui effrayaient la capitale parvenait rarement jusqu’à ces villes lointaines. Sous tous les princes, on vivait à peu près de même; on leur accordait à tous les mêmes honneurs, parce qu’on recevait d’eux les mêmes services. En somme, les mauvais maintenaient la paix publique comme les bons; aussi n’avait-on pas de répugnance à mettre leurs