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Par la ruse ou par la force, en s’alliant avec les Arabes ou en les combattant, Rome parvint à maintenir la tranquillité dans ces pays lointains. C’est ce qui lui méritait la reconnaissance des peuples, c’est ce qui a partout légitimé son empire. On n’est guère tenté d’être injuste pour elle quand on visite ces contrées qu’elle avait conquises à la civilisation, et qui après elle sont retombées dans la barbarie. M. Waddington est un des rares voyageurs qui de nos jours les aient parcourues. Il a traversé, non sans péril, cette province qui portait autrefois le nom de Batanée et qu’on appelle aujourd’hui le Haourân. A chaque pas, il y a trouvé les ruines de villes florissantes, d’admirables édifices, d’églises somptueuses. Depuis Trajan jusqu’à Justinien, le Haourân, protégé par les armes de Rome, fut heureux et riche. L’invasion musulmane a détruit cette prospérité et n’a rien pu mettre à la place. Les Arabes sont revenus à leurs instincts naturels; ils ont quitté les villes qu’on leur avait fait habiter pour aller vivre sous la tente. Beaucoup d’entre eux sont retournés dans ces cavernes, où ils s’entassaient déjà, comme des bêtes fauves, du temps du roi Agrippa et de l’historien Josèphe; ils y ont repris l’existence que menaient leurs pères, pillant les voyageurs quand il en passe ou se querellant entre eux lorsqu’ils n’ont pas d’étrangers à détrousser.

Si l’on s’éloigne des frontières de l’Arabie et qu’on s’élève vers l’Asie-Mineure, on traverse des pays dans lesquels la domination romaine a laissé aussi beaucoup de traces. Sans être devenus tout à fait des déserts comme le Haourân, qu’ils sont loin de leur ancienne prospérité ! C’étaient, du temps de l’empire, les contrées les plus florissantes du monde. Il n’y avait pas de provinces plus peuplées, plus riches, que la Syrie, l’Asie, la Galatie, la Bithynie; elles contenaient des villes comme Antioche, Smyrne, Éphèse, Nicomédie, dont on ne parlait qu’avec la plus vive admiration dans tout l’univers. Rome avait reçu ces pays en assez mauvais état, ruinés par les guerres éternelles que se faisaient les successeurs d’Alexandre. Elle ne se donna pas d’abord beaucoup de peine pour les relever. Il faut croire que dans les premiers temps sa domination y était pesante et que les Asiatiques la supportaient avec impatience, puisque, à l’époque de Sylla, ils prirent si résolument parti pour Mithridate; mais leur sort fut bien meilleur sous l’empire. M. Waddington reconnaît qu’en somme la condition des provinces fut prospère dans les deux premiers siècles qui suivirent la bataille d’Actium. « L’ordre matériel, dit-il, régnait partout, ce qui n’était guère arrivé auparavant. Les luttes de prince à prince, de ville à ville, étaient devenues impossibles, et la guerre était reléguée aux frontières; le commerce et l’industrie étaient florissans; l’accès des fonctions publiques,