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de mars, et l’a honoré de vers grecs, de sa composition, qu’il a fait graver ci-dessous. » Suivent deux vers que M. Letronne trouve un peu embarrassés, mais pourtant fort passables « pour des vers de préfet.» Les princes aussi, quand ils parcouraient l’Égypte, n’oubliaient pas de rendre visite à Memnon. L’empereur Hadrien, cet infatigable voyageur, qui voulut voir toutes les curiosités de son empire, vint entendre le fils de l’Aurore au mois de novembre de l’an 130. Comme il était poète à ses heures, il aimait à s’entourer de beaux esprits, dont quelques-uns l’accompagnaient dans ses courses. Il avait même avec lui pendant son voyage en Égypte une femme auteur, Julia Balbilla, qui a tenu à nous laisser, dans trois pièces de vers pédantesques, le souvenir de ses impressions. Elle y raconte qu’en présence d’Hadrien le colosse s’est surpassé. Il se fit entendre trois fois de suite, et trois fois aussi l’empereur lui rendit son salut. Cette complaisance de Memnon flatta beaucoup le prince et combla de joie toute l’assistance. « C’est bien la preuve, disait Balbilla ravie, que césar est aimé des dieux ! »

On ne peut s’empêcher de remarquer, quand on revoit tous ces témoignages, qu’il n’y a peut-être jamais eu de miracle aussi bien constaté que celui de Memnon. Pendant plus de deux siècles, des visiteurs de toute fortune ont entendu sa voix et l’ont attesté. Il s’en trouvait beaucoup parmi eux d’éclairés, d’intelligens, qu’on ne pouvait pas aisément tromper, des gouverneurs de province, des commandans de légion, et même des princes et des princesses qui n’auraient pas souffert volontiers d’être pris pour dupes. Le miracle est donc tout à fait certain, et il n’est guère probable, comme on l’a supposé, qu’il fût produit par quelque supercherie des prêtres. Outre qu’une supercherie dure rarement deux siècles sans être découverte, les inscriptions nous apprennent que le prodige ne s’accomplissait pas tous les jours, et qu’il lui arrivait de tromper l’attente des personnes réunies pour en être témoins. La femme d’un préfet de l’Égypte nous dit qu’elle est venue deux fois sans succès. Nous venons de voir qu’Hadrien fut comblé de prévenances par le colosse ; sa femme ne fut pas aussi heureuse : pendant les premières visites, Memnon resta muet devant elle, au grand déplaisir de l’impératrice, qui faillit se fâcher contre un dieu si peu poli. « Les traits vénérables de la princesse, dit un poète de cour, s’étaient enflammés de courroux, » et bien prit au fils de l’Aurore de ne pas persister dans son silence inconvenant et de prouver, en se faisant entendre deux fois le dernier jour, « qu’il se plaisait dans la compagnie des dieux. » Il est clair que, si le miracle avait été le résultat d’une fraude pieuse, le dieu n’aurait pas eu de ces caprices, et que surtout il se serait bien gardé de se taire en présence d’aussi grands