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qui assure également à l’individu pauvre et isolé le respect de ses droits, et à la majorité la pleine jouissance du pouvoir politique, est violée par une fraction quelconque de la société, le despotisme est fondé, si cet attentat n’est sévèrement réprimé. Battus dans les élections présidentielles de 1860, les états du sud voulurent ressaisir par l’intimidation ou la force l’influence qu’ils avaient exercée jusque-là au profit de l’esclavage, et, tout en faisant sonner bien haut les mots d’indépendance et de liberté, ils foulèrent aux pieds un contrat sacré dès que le scrutin national se prononça contre leur politique; mais le succès, ce grand justificateur des hommes providentiels, leur fit défaut, et la victoire sanctionna la cause du droit et de la légalité. On vit alors quels trésors d’énergie la pratique large et constante de la liberté amasse chez les peuples assez heureux pour la posséder et assez sages pour la garder.

L’Amérique avait déjà résolu l’un des problèmes les plus difficiles de notre siècle en développant au milieu d’une société démocratique des institutions libérales; mais aucune grande crise intérieure n’était encore venue en éprouver la solidité. Bien des gens assuraient qu’à la première tempête cette plante fragile serait arrachée d’un sol incapable de la nourrir. Le vent de la guerre civile s’est levé, et c’est au contraire l’arbre vigoureux des institutions américaines qui, étendant son ombre sur le pays où il avait jeté de si profondes racines, l’a préservé d’une imminente destruction. Dans cette crise, le peuple américain a appris à estimer encore plus que par le passé sa constitution, et il a prouvé au monde que la statue de la liberté est non pas une idole vaine, sourde au jour du danger, mais l’image sainte d’une divinité puissante qu’il faut invoquer dans l’adversité.

Aussi, quoique la guerre offre toujours un cruel spectacle, peut-on du moins interroger celle qui a récemment déchiré l’Amérique sans éprouver cette tristesse profonde et sans mélange qu’inspire le triomphe de la violence et de l’injustice. Il est intéressant de rechercher comment a été obtenue cette victoire, si longtemps disputée, dont les résultats éclatent à tous les yeux, mais dont les véritables causes sont difficiles à démêler de loin. Dans cette étude, aussi importante pour le soldat que pour l’homme d’état, il faut sans doute tenir compte d’une part de la différence des institutions, des mœurs et de bien des circonstances particulières, mais aussi d’autre part ne pas rejeter sans examen des exemples précieux et une expérience chèrement acquise sous prétexte que ce qui a réussi en Amérique ne peut s’appliquer à l’Europe.

Le travail que nous entreprenons est essentiellement une histoire militaire : nous n’essaierons donc pas. de raconter les luttes constitutionnelles