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fut, il n’en a pas été question, du moins jusqu’à présent. Si Jeanne d’Arc n’existait pas, probablement qu’on l’aurait inventée à cette occasion ; mais, comme elle existe, on trouve honnête de reconduire poliment et de la renvoyer aux calendes. Et le Polyeucte de M. Gounod que devient-il ? a-t-on seulement fait prendre de ses nouvelles ? Nous n’aurons ni Jeanne d’Arc, ni Polyeucte. Pourquoi donc alors ne point s’adresser directement aux jeunes ; si l’on craint de trop s’aventurer avec un seul, pourquoi ne pas les convier tous à la fête ? Un intermède dramatique et symphonique où prendraient part M. Bizet, M. Massenet, M. Reyer, M. Léo Delibes, aurait du moins cela de bon de montrer quelles sont les réserves musicales de notre prétendue décadence. Cela serait à la fois habile et national, c’est peut-être la raison pour laquelle on n’en fera rien, et vous verrez qu’on s’en ira chercher pour ouvrir la nouvelle salle quelque vieillerie de M. Thomas, sa Psyché par exemple, tombée à l’Opéra-Comique.

Ces abus qui se commettent journellement dans nos théâtres sans être jamais des cas pendables méritent pourtant d’attirer l’attention de la critique, il est temps aussi que l’administration supérieure s’en occupe. L’assemblée, après des discussions rapides et banales où les avocats officieux du statu quo n’ont le plus souvent, à répondre qu’à des contradicteurs de la force de M. de Lorgeril, — vote les fonds qu’on lui demande, et ces millions, le fruit des entrailles du pays, vont se perdre ensuite sans profit pour l’art et pour les lettres. Tranchons le mot, la surveillance n’est plus suffisamment exercée ; sous la restauration, sous le gouvernement de juillet et sous l’empire, il y avait une direction des beaux-arts autorisée et compétente dont les théâtres redoutaient assez la vigilance. Aujourd’hui ce pouvoir-là n’existe plus. Les commissaires sont trop près des coulisses, le ministre est trop loin. Entre le directeur d’un grand théâtre et le ministre, il faut un intermédiaire sérieux et dont l’autorité s’affirme moins encore par son côté administratif que par une certaine position hautement consentie dans les arts et dans les lettres. A Dieu ne plaise que je songe à mettre en doute les aptitudes et les talens du marquis de Chennevières, il me sera cependant accordé d’avancer que sa compétence, fort à sa place lorsqu’il s’agit d’une exposition de peinture, perd beaucoup de son prestige dans une question musicale, dramatique ou littéraire. Même au temps où florissaient les surintendances, les théâtres et le Conservatoire formaient un cercle à part, et c’est seulement, au 4 septembre qu’on s’est imaginé de les réunir aux attributions du directeur des musées ; or il y a là une incompatibilité criante. Les théâtres et le Conservatoire veulent être surveillés activement ; un directeur des musées a d’ailleurs assez à travailler chez lui ; qu’il invente son salon des copies, qu’il institue ce fameux prix de l’exposition, objet de tant de controverses parmi les peintres, ce sont là ses affaires et point les nôtres ; mais nous voulons : que les emplois