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musique moderne, basée sur la tonalité (dans son double mode majeur et mineur), la mesure et le rhythme, s’impose à nous par un triple besoin d’attraction, de régularité et de symétrie, et si prompte et en même temps si routinière est la logique du sentiment auquel nous sommes assujettis, qu’à peine avons-nous perçu un groupe de sons, nous préjugeons et désirons la succession d’un groupe analogue ; en d’autres termes, dès que l’oreille a perçu le premier rhythme d’un air, elle préjuge et désire un rhythme pareil, dans le même ton, le même mode et avec la même disposition des notes. Donc chaque fois que se présentent une ou plusieurs notes étrangères à la gamme ou au mode figurant au commencement d’un air, — notes par conséquent de nature soit à déplacer la tonique, soit à changer le mode, soit à retarder le repos final et communiquer à l’oreille d’autres désirs, d’autres attractions, — chaque fois que se présentent des notes inattendues, insolites, qui rompent la régularité des accens métriques ou nuisent à la symétrie du dessin rhythmique initial, il faut pour ainsi dire les imposer au sentiment étonné, heurté, désorienté. Noire premier, mouvement nous porte à regarder ces notes comme fausses, puis, voyant qu’elles répondent aux lois de la tonalité, de la modalité, de la mesure et du rhythme, et qu’elles tendent seulement à former une nouvelle gamme, un nouveau dessin rhythmique, nous faisons un effort pour les accepter, et c’est alors que le virtuose manifeste ses impressions par une sonorité plus intense, une plus grande animation, bientôt suivies d’épuisement et de langueur.

L’expression musicale n’est donc que la manifestation des impressions que les notes irrégulières, destructives du ton, du mode, de la mesure et du rhythme, produisent sur le sentiment. Les grands artistes, ayant en eux l’observation spontanée des lois de la nature, je doute que cette grammaire de l’expression en augmente beaucoup le nombre ; mais la masse des exécutans ordinaires doit nécessairement tirer d’immenses avantages d’un tel enseignement, destiné à substituer les principes rationnels, la règle et la théorie, à l’observation empirique. D’ailleurs les grands artistes naissent d’eux-mêmes, inutile de leur préparer la voie ; « à celui-là qui s’en occupe le moins, dit Goethe, et qui n’y pense seulement pas, à celui-là tout est donné, tout va ! » Ce qui n’empêche pas que la raison ne vienne fort sagement à son heure pour expliquer et codifier les mystérieuses révélations que les grands inspirés tiennent de Dieu. Aux natures exceptionnelles le don, aux esprits ordinaires le travail, la faculté de s’approprier par l’étude ce que M. Lussy appelle « la divine intuition qui saisit les irrégularités tonales, modales, métriques et rhythmiques, » principium et fons de la langue musicale.

Un musicien qui déjà compte dans la pléiade des jeunes et qui pourra bien trancher du maître lorsque la scène s’ouvrira pour lui, le marquis d’Ivry, vient d’écrire deux nouveaux morceaux. L’un, intitulé l’Hymne français, a été exécuté dans une cérémonie à Notre-Dame par la bande