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guère les rieurs de leur côté. Ne vous attendez ni à des cavatines, ni à des phrases concertantes comme dans la messe de Rossini ; rien non plus de ces larges plans à la Haendel, le maître suit le texte, le traduit mot à mot, syllabe par syllabe, bien plutôt qu’il ne le commente ; les morts lui dictent leur prose, et il écrit sa musique sous leur inspiration. Cela vous rappelle par instans le tableau du musée espagnol où saint Bonaventure, sorti de sa tombe, achève dans le trépas la page commencée pendant sa vie. Chaque note est une parole du texte, et vous avez ainsi des effets d’un rendu surprenant ; les voix des solistes ne se montrent à l’avant-scène que par rapides échappées, la plupart du temps vous les entendez gémir, implorer, se débattre au sein du formidable ensemble. Au pianissimo en la mineur du début, sépulcral, effrayant de mystérieux solennel, d’horreur funèbre, s’enchaîne l’ineffable lamentation d’un Kyrie eleison récité par le quatuor vocal, et qui se termine avec le chœur ; puis éclate le Dies iræ, vertigineux dans sa désolation, enlevé à la Michel-Ange, vous diriez le Jugement dernier de la Sixtine s’animant et remplissant les airs de sa furie et de sa plainte. Dans le Recordare, les deux voix de la Waldmann et de la Stolz se posent devant nous pour la première fois, et quels accens ! quels timbres, quel sentiment ! Aucun appareil théâtral, point de décor, de mise en scène, point de gestes, l’art seul et son expression : c’est sublime. Quant à la Stolz, la phrase du Libera vous la livre tout entière, âme et voix. A cet organe d’une vibration saisissante qui s’enflamme et part comme un cheval de sang, vole à l’obstacle si escarpé qu’il soit, puis soudain s’arrête ferme, imperturbable, à ce soprano frémissant, indomptable, capable des alternatives les plus extrêmes, et qui de l’explosion en un clin d’œil passe à la douceur, à ce soprano merveilleux rendez le geste, le théâtre, et vous verrez quelle dona Anna, quelle Valentine ! Ah ! si Meyerbeer vivait encore, comme nous l’applaudirions bientôt à l’Opéra, cette Teresa Stolz, et comme il faudrait que la Waldmann l’y suivît au plus vite !

Deux sentimens dominent dans la messe de Verdi, l’épouvante et l’imploration. Impossible d’ailleurs de méditer sur la légende catholique qu’il s’agissait de mettre en musique sans être remué par ces deux voix grondantes et suppliantes au fond de ces versets et de cette prose incomparables. Mozart lui-même a fait de ces deux sentimens la note dominante de son Requiem, et Verdi doit avoir à cette occasion beaucoup lu Mozart. Je trouve en germe, dans l’œuvre du maître des maîtres, tel effet dont le musicien moderne s’est emparé en le développant, comme c’était son droit : le Tuba mirum par exemple, qui, proposé par un seul trombone dans l’œuvre de Mozart, deviendra dans la messe de Verdi ce prodigieux appel des cuivres. — La tempête du jour annoncée par les prophéties tonne et mugit à plein choral, à plein orchestre ; soudain l’ouragan s’arrête, tout se tait, et du milieu de ce silence plus terrible encore que l’éploration universelle à laquelle il succède retentissent les