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douloureux d’une période de servitude. Quand Rossini disait de lui : « Verdi est un musicien qui porte un casque, » l’auteur de Guillaume Tell faisait mieux qu’un mot d’esprit, il disait une vérité. La révolution avait choisi son prince, elle avait inscrit sur son drapeau : « Victor-Emmanuel, roi d’Italie ! » Et par je ne sais quelle mystérieuse combinaison du destin, il se trouva que les premières lettres de ce cri de guerre formaient, en se rapprochant, le nom de Verdi. Il y avait donc entre le musicien et son monarque communauté préexistante de vocation, et, sans voir comme les anciens la main des dieux partout, encore est-il permis de relever certains traits de nature à frapper les imaginations d’un peuple du midi, et qui les ont en effet bien frappées, puisqu’aux jours du soulèvement national le nom d’un compositeur d’opéras prit tout à coup un caractère symbolique, et, flamboyant sur tous les murs, signifia la délivrance de la patrie. Quelle âme intelligente, — aux accens de Nabucco et des Lombardi, — ne s’est émue d’un sentiment qui vous entraîne au-delà du sujet de la pièce ? Qui n’a saisi, la note d’airain, stridente, altière, implacable, dans cette musique dont il est plus facile de chercher à ridiculiser le style que d’imiter le tempérament viril ? Verdi fut ainsi le collaborateur de Cavour et de Victor-Emmanuel. A cette même cause de l’indépendance nationale, l’auteur des Promessi Sposi avait, lui aussi, dévoué son génie et les tendances de la vie la plus pure et la plus laborieuse, et c’est à la mémoire de Manzoni, à la gloire du compatriote et de l’ami, que Verdi consacre aujourd’hui cette messe de Requiem, œuvre sinon religieuse, du moins inspirée par une pensée toute religieuse.

Musique religieuse, sentiment religieux, ici, gardons-nous d’en douter, va recommencer la fameuse querelle qui date du Stabat de Rossini. Ne nous y engageons pas ; c’est le pont aux ânes. Le Christ de Bonnat manque peut-être un peu de simplicité, d’élévation et de caractère divin, est-ce à dire qu’il ne faut tenir compte à cette peinture ni de son puissant modelé, ni de l’effort vigoureux qu’elle se donne pour sortir de la vulgarité courante ? Souvenons-nous que nous vivons dans une époque de publicité à outrance, et que l’artiste, quel qu’il soit, ne produit que selon les conditions de son temps. C’est pour l’exposition que les peintres d’aujourd’hui font leurs tableaux d’église, et pour la salle de concert ou le théâtre que les musiciens composent leurs messes ; tout cela, c’est peut-être du vandalisme, mais qu’y faire et que sert d’user sa rhétorique à déclamer contre des choses auxquelles on ne peut rien changer ? Vous reprochez à mon Christ son réalisme, à ma partition son caractère dramatique ; mais ce sentiment religieux que vous m’accusez, moi peintre, moi musicien, de ne point avoir, vous critiques qui parlez tant, le possédez-vous à dose quelconque ? Savez-vous seulement ce que c’est ? Que le siècle commence donc par croire en Dieu, et tous les arts s’inspireront aussitôt de sa