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de sécurité et de confiance. Le spectacle de tant d’efforts inutiles rend le courage et l’espérance aux audacieux qui cherchent la fortune de leur cause dans les inquiétudes publiques, et voilà un beau jour la ville remuée, agitée, parce que bonapartistes et radicaux en viennent aux gros mots, aux injures, devant des partis modérés muets ou impuissans.

Les querelles passent du parlement dans la rue et les violences de discussion vont aboutir aux tumultes de la gare Saint-Lazare, à ces mêlées bruyantes, à ces manifestations contraires, qui ont accompagné pendant quelques jours les députés partant pour Versailles. Ces scènes, si tristes qu’elles soient, si pénibles qu’elles aient été par quelques-uns des incidens qui se sont produits, ces scènes n’ont point sans doute par elles-mêmes une gravité exceptionnelle, en ce sens qu’elles ne répondent pas à un mouvement profond de l’opinion, qu’elles restent l’expression d’une turbulence assez factice et assez restreinte. Elles sont du moins un élément d’une situation plus générale ; elles laissent voir le progrès qu’on a laissé faire à une cause qu’un vote unanime frappait il y a trois ans, et qui se croit aujourd’hui assez purgée de ses condamnations pour encombrer la presse, la rue, le scrutin, le parlement, la politique tout entière de ses revendications et de ses prétentions. Elles montrent particulièrement à l’assemblée ce qui arrive lorsque ceux qui sont chargés de réorganiser, de reconstituer un pays, ne font pas tout ce que ce pays a le droit de leur demander, d’attendre de leur dévoûment. Ce sont alors les partis violens, ceux qu’un croyait perdus, qui retrouvent la parole, qui s’offrent encore une fois comme des sauveurs, — et Dieu sait pourtant ce qu’ils ont sauvé, dans quel état ils ont laissé la France !

Ce qu’il y a de certain, c’est que la situation, telle qu’elle apparaît aujourd’hui dans son ensemble, est évidemment le résultat d’un certain nombre de fautes où tout le monde a un peu sa part, des divisions implacables de toutes les opinions parlementaires, de l’acharnement des partis libéraux et conservateurs à se neutraliser, à se disputer un pouvoir qu’ils ne savent ou ne peuvent pas même exercer, si bien que, par degrés, on en est arrivé à ceci. Le gouvernement du maréchal de Mac-Mahon a été créé pour sept ans, on lui a promis des institutions organiques, et aujourd’hui il est visible que beaucoup de ceux-là mêmes qui ont nommé le maréchal lui refusent les lois constitutionnelles qu’il demande, sans lesquelles son pouvoir n’est plus qu’une délégation sans indépendance et sans force, ou une dictature. Le cabinet de M. le duc de Broglie a été renversé le 16 mai, il est tombé justement pour avoir voulu proposer ces lois constitutionnelles qu’on a promises à M. le président de la république, et qu’une partie de la droite lui refuse maintenant. Comment le cabinet de M. le duc de Broglie a-t-il été remplacé ? Après bien des essais, après huit jours de négociations, un nouveau ministère s’est formé. Il a vécu jusqu’ici, ce ministère, il vit encore, et