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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1874.

Quand on est sorti de l’ordre, le progrès est d’y rentrer : un homme illustre parlait ainsi il y a quarante ans, et c’est assurément aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais, le premier, le plus vrai, le plus pressant progrès dont puissent se préoccuper tous ceux qui sont dévoués à leur pays. L’ordre pour le moment, c’est de savoir ce qu’on veut, de connaître son chemin, d’offrir aux esprits, aux intérêts, aux volontés mobiles, un point de ralliement, une politique de sincérité et de résolution.

Sait-on bien ce qu’on veut à l’heure où nous sommes ? Connaît-on le chemin où l’on marche et où l’on conduit la France ? Depuis quelque temps, en vérité, on dirait que tout est livré à l’aventure entre Paris et Versailles, qu’il y a dans nos affaires un inexprimable mélange d’incertitude, d’impatience, de découragement et de dépit, dont le dernier mot est l’impuissance devant un avenir qu’on interroge avec un fatalisme morose, qu’on craint et qu’on ne sait comment conjurer. Ainsi vont les choses, et comme il arrive toujours, les partis extrêmes, qui pour eux savent ce qu’ils veulent, qui sont aux aguets, profitent de la circonstance, les scènes tumultueuses surviennent bientôt, entretenues, aggravées ou propagées par toutes les violences de polémique et par tous les récits de fantaisie. Pourquoi s’étonner de ce qui n’est que la conséquence de tout ce qui se passe, de tout ce que nous voyons depuis des mois qui finissent par former des années ? Rien de plus tristement logique en effet. On perd des forces et des momens précieux à rêver des combinaisons irréalisables, à faire de la politique avec des répugnances et des équivoques, à suivre des négociations qui n’aboutissent jamais ; on épuise tous les artifices, les subtilités et les nuances de langage, au risque de laisser croire à un pays qu’on n’a rien à lui offrir, que tout ce qu’il peut espérer de mieux se réduit à un provisoire précaire et indéfini. Pendant ce temps, les esprits désorientés se fatiguent et s’aigrissent, les intérêts s’alarment et se resserrent, le travail s’alanguit, faute