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qualité d’ancien magistrat donne tant d’autorité en ces matières. Tantôt un des riverains ne se présente pas, ou l’on ne peut obtenir de lui qu’il produise ses titres ; l’opposition d’un seul suffit, si l’on n’a recours aux voies judiciaires, pour que l’opération reste incomplète et irrégulière. Tantôt, l’accord ne s’établissant pas sur la contenance d’une propriété, l’une des parties se plaignant d’éprouver un déficit, il faut, pour retrouver le terrain perdu, réclamer de proche en proche le concours de nombreux propriétaires ; menacés de restituer du terrain, beaucoup refusent d’intervenir. Il ne reste alors d’autre alternative que de renoncer à l’opération ou de s’adresser aux tribunaux et beaucoup de personnes reculent devant ce parti… En supposant l’acte de délimitation régulier et valide au point de vue de la forme, les effets en sont bien restreints et même souvent nuls. Les propriétaires voisins, sinon les propriétaires limitrophes, pourront toujours réclamer une délimitation collective, et dans ce cas, d’après une saine doctrine comme d’après la jurisprudence ; des opérations isolées ne pourront leur être opposées.

Voilà bien des difficultés qui peuvent survenir. Dans le cas même où aucune ne se sera produite, dans le cas où le bornage d’une terre aura été mené à bonne fin, c’est à peine si le propriétaire pourra se flatter d’être garanti contre les empiétemens de ses voisins. Il n’est pas toujours possible en effet de rattacher les bornes à des points de repère fixes qui permettent d’en retrouver l’emplacement. Il est facile de les déplacer, très malaisé de prouver le délit lorsqu’il est découvert. Malgré la perspective d’une répression sévère, cette fraude est souvent pratiquée. Le danger est réel, démontré par une longue expérience ; quelques-unes de nos anciennes coutumes avaient cherché à le combattre. M. Michelet, dans son Origine du droit français, rapporte que les opérations de bornage étaient, au moyen âge, accompagnées de formalités bizarres. « On faisait, dit-il, venir des enfans, en leur pinçait l’oreille, on leur donnait des soufflets pour leur imprimer le souvenir de ce qu’ils avaient vu. » De nos jours, la plupart des états de l’Allemagne ont recours à des procédés moins primitifs, et, il faut l’espérer, plus efficaces. Dans chaque commune, des commissaires ont pour mission de borner les propriétés et de rattacher les bornes à des points de repère.

En France, les bornages ne reposent pas sur des garanties aussi sérieuses, et des faits nombreux attestent qu’ils ne sont pas une sauvegarde absolue. Enfin ces opérations entraînent des dépenses assez considérables : c’est là une considération devant laquelle reculent rarement les grands propriétaires ; mais parmi les petits cultivateurs, si nombreux en France, qui possèdent seulement quelques ares de terrain, combien se résignent, même pour de sérieux avantages, à supporter des frais assez lourds ? Des habitudes de