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dire est depuis longtemps en contradiction avec des théories que les faits démentent tous les jours. Des réclamations qui persistent depuis un demi-siècle répondent, il faut bien l’admettre, à des besoins réels.

Aussi la plupart des adversaires d’une rénovation cadastrale abandonnent-ils volontiers les argumens théoriques pour insister seulement sur les difficultés de l’opération. Suivez, disent-ils, le cadastre depuis son origine ; voyez les hésitations, les tâtonnemens de notre administration, les déboires de nos assemblées, les pénibles travaux auxquels il a fallu se livrer, les mécomptes qui les ont suivis de si près. Allez-vous nous engager dans une voie hérissée de tant d’obstacles, prétendez-vous que nous serons plus heureux que nos devanciers ? Manquaient-ils de savoir ou de courage, et, s’ils n’ont pas réussi, n’est-ce pas plutôt que la confection d’un bon cadastre est un problème sans solution, une utopie à laquelle ne s’arrêtent que des esprits chimériques ? On invoque les leçons de l’expérience, rien de plus légitime ; il ne faut pas s’aventurer sur le terrain périlleux des réformes sans demander au passé les enseignemens à défaut desquels on marcherait à l’aveugle.


II

L’histoire du cadastre en France se perd dans les ténèbres du moyen âge. La révolution, en cette matière, n’a fait qu’exécuter des réformes tentées bien avant elle. Dès le règne de Charles VII, un projet de cadastre général du royaume avait été conçu, et l’idée, dans les temps qui suivirent, n’en fut jamais abandonnée. Au XVIIIe siècle, les philosophes, les écrivains, qui jetaient les premières assises de la science économique, voulaient que la terre fût la seule base de l’impôt, comme elle était d’après eux l’unique source de la richesse, et, sous l’influence de ces idées, beaucoup de provinces furent cadastrées. L’établissement d’un cadastre général fut l’une des réformes que poursuivirent avec passion, sous l’ancienne monarchie, d’illustres hommes d’état, les Colbert, les Turgot ; leurs efforts malheureusement vinrent toujours échouer devant l’opposition d’intérêts puissans.

Réunie pour mettre un terme à des embarras financiers pleins de périls, l’assemblée nationale renonça tout d’abord à réformer les anciens impôts : imbue des théories qu’avaient propagées les physiocrates, elle tenta d’édifier un système nouveau, et résolut de demander à la terre la plus grosse part, sinon la totalité des ressources nécessaires. Pour réaliser cet idéal, un cadastre devenait indispensable ; aussi, dès le mois de novembre 1790, était-il réclamé avec insistance par le comité des impositions.