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les détruira tous le jour où paraîtra cet autre argument moins théorique, l’avertissement du percepteur.

Modifier la répartition de l’impôt foncier, diminuer ici la charge pour l’augmenter à côté serait, on l’assure, une véritable spoliation, ce serait en définitive s’attaquer au capital, porter atteinte à la propriété. — Mais alors quel parti prendre ? où s’arrêter ? Il faut enchaîner le législateur, lui interdire non-seulement de modifier la répartition de l’impôt foncier, mais encore de toucher à d’autres taxes qui tombent directement sur la terre, lui défendre par exemple d’augmenter les tarifs qui frappent les mutations immobilières. Les droits de mutation, aussi bien que l’impôt direct, ne sont-ils pas un des élémens dont l’acheteur tient compte avant de faire ses offres ? Les transactions nivellent, dit-on, les inégalités de l’impôt foncier. Les taxes mobilières échapperaient-elles à cette loi ? et pourtant, si elles étaient imposées sans proportionnalité, irait-on jusqu’à dire qu’au bout d’un certain temps le mal n’existe plus ?

La mobilité des évaluations cadastrales et de l’impôt ne serait pas seulement, au dire de beaucoup de théoriciens, contraire aux principes fondamentaux de l’économie politique, elle aurait de graves inconvéniens au point de vue de la richesse publique. Après la justice, on invoque l’intérêt général. Placer le cultivateur sous la menace d’une augmentation d’impôt, ce serait décourager ses efforts. Quoi ! l’agriculteur s’imposerait de durs sacrifices, s’épuiserait en pénibles travaux pour améliorer sa terre, et le jour où elle le paierait de ses peines, le fisc tendrait la main et lui arracherait le prix de ses labeurs ! La mobilité de l’impôt foncier serait une « amende à l’industrie, » une « prime à la paresse. »

L’objection mérite qu’on s’y arrête, elle a le don d’émouvoir beaucoup d’esprits, et cependant résiste-t-elle à l’examen ? Le législateur a-t-il jamais cru décourager l’industrie en la frappant de nouveaux impôts, un fabricant a-t-il jamais reculé devant la perspective de voir ses bénéfices atteints dans une plus large mesure ? Cette considération l’a-t-elle jamais empêché de modifier son outillage, d’étendre ses relations, de chercher des débouchés nouveaux ? Une de nos grandes industries, celle du sucre, — et bien d’autres sont dans le même cas, — s’est développée au milieu de remaniements d’impôts pour ainsi dire incessans ; comment croire que l’agriculture serait plus peureuse, qu’elle fuirait le progrès, renoncerait à augmenter ses bénéfices dans la crainte que le trésor ne voulût un jour prélever sa part ? Consacrer le principe de l’immobilité, même en matière d’impôt, ce serait nier le mouvement et la vie qui modifient sans cesse l’économie des nations ; ce serait aussi condamner les efforts qu’ont faits tous les gouvernemens pour améliorer l’assiette des contributions. Le sentiment public, l’instinct de tous pour ainsi