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beaucoup de contrées autrefois à peu près privées de moyens de transport sont aujourd’hui traversées par des canaux et pourvues d’un magnifique réseau de chemins vicinaux ? La construction récente encore de nos lignes de chemins de fer n’a-t-elle pas eu pour conséquence une véritable révolution économique ? Les vins du midi, qu’autrefois on brûlait pour les convertir en eaux-de-vie médiocres, se transportent à présent sur nos principaux marchés, et s’y vendent à des pris élevés. Plus de 100,000 hectares ont été, paraît-il, depuis l’ouverture de la ligne du Midi, plantés en vignes dans les contrées qu’elle traverse, et l’on y trouverait beaucoup de terres qui rapportent plus aujourd’hui annuellement qu’elles ne valaient autrefois en capital. Par un triste retour de fortune, ces pays, devenus si riches, sont actuellement menacés d’un fléau qui va peut-être leur imposer de dures épreuves : le phylloxéra étend tous les ans ses ravages. L’agriculture a ses revers, aussi terribles souvent que ceux de l’industrie : les progrès eux-mêmes de la science tournent quelquefois à son détriment. Tout récemment encore n’est-on pas arrivé à fabriquer par des procédés chimiques ces belles couleurs que naguère on tirait de la garance ? Le seul département de Vaucluse obtenait de cette culture un revenu annuel de plus de 12 millions qui va peut-être lui échapper. Pour la terre, comme pour les autres propriétés, à côté du progrès la décadence !

Richesse industrielle et richesse agricole sont donc soumises à la même loi, la loi du mouvement ; combien cependant sont différentes les charges qu’elles supportent ! Attentif, à suivre l’industrie et le commerce dans tous leurs déplacemens, ne les perdant jamais de vue jusque dans leurs moindres mouvemens, le trésor, par une sorte de contradiction, demande à la propriété foncière des redevances à peu près fixes ; dont la répartition ne varie jamais. Cherchons à préciser les résultats de cette étrange fixité. Un travail officiel fait en 1851 a démontré que certains départemens payaient à cette époque 9,07 pour 100 de leurs revenus alors que d’autres ne supportaient que 3,74 pour 100 ; ces chiffres n’étaient que des moyennes, puisqu’ils avaient pour base les contingens départementaux ; en comparant entre elles des cotes foncières prises sur différens points du territoire, on eût sans doute reconnu des écarts bien plus considérables. C’est un fait positif qu’il existe aujourd’hui des terres payant cinq et six fois plus que d’autres terres d’un revenu égal.

Au reste, l’inexactitude des évaluations cadastrales n’est pas contestée ; mais on a soutenu qu’elle est indifférente au point de vue du contribuable. La fixité de l’impôt foncier a été défendue comme un principe économique ayant un caractère absolument scientifique. Modifier la répartition des taxes immobilières serait, suivant beaucoup d’écrivains, commettre une injustice ; ce serait presque porter