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cependant ne se font pas entendre ! Depuis quatre-vingts ans, la critique ne s’est jamais lassée ; à peine pourrait-on signaler dans nos annales parlementaires une session où le cadastre n’ait été plus ou moins violemment attaqué. A une époque récente, sous l’empire, nombre de pétitions ont demandé la péréquation de l’impôt foncier, et ont été favorablement accueillies au sénat. Lors de la grande enquête agricole de 1866, ç’a été une véritable explosion de doléances ; enfin cette année même l’honorable M. Feray a proposé à la chambre la révision des évaluations cadastrales ; un de ses collègues, M. Lanel, a déposé un projet d’une portée plus restreinte, qui, malgré de vives oppositions, a été adopté ; à cette occasion, les plaintes formulées depuis si longtemps ont été reproduites, et le mal n’a pas été contesté.

La terre bénéficie tous les jours des découvertes de la science, des progrès de l’industrie, le cadastre reste immobile, étranger à tout ce qui se fait ; c’est un monument d’un autre âge. Les plans n’ont pas été tenus au courant des changemens qui se produisent sans cesse dans la configuration des parcelles ; circonstance plus grave, l’évaluation des revenus fonciers dans beaucoup de localités n’a jamais été modifiée, et l’on peut trouver des communes où elle remonte à quarante, cinquante ans et plus. Que de faits ont dû, pendant ce long espace de temps, fausser complètement ces anciennes évaluations ! L’agriculture a presque partout changé ses procédés, les cultures industrielles ont été introduites dans beaucoup de pays ; la fabrication du sucre de betterave, s’il est besoin de citer des faits, est devenue pour la terre, dans quelques-unes de nos provinces, la source de bénéfices considérables. L’influence bienfaisante du capital, la découverte de certains amendemens, une culture plus savante, ont sur certains points, augmenté dans des proportions énormes le rendement des propriétés. Ici, de vastes marais autrefois peu productifs sont devenus de riches prairies ; là, ce sont des forêts entières qui ont été défrichées, de maigres pâturages convertis en précieux labours. « J’ai contribué personnellement, disait M. Raudot dans la séance du 5 mars 1874, à la mise en culture de terrains communaux qui avaient été estimés presque à rien au cadastre, qui payaient, je crois, 40 ou 50 centimes par hectare… Aujourd’hui une grande partie de ces terrains a été convertie en prés, et dans ce moment les propriétaires en retirent de 100 à 150 fr. par hectare ; ils ne les donneraient pas pour 5,000 francs l’hectare. »

Gardons-nous de croire que ce sont là des faits isolés, d’une portée limitée : des causes générales font sans cesse varier la distribution de la richesse, et la terre n’échappe pas à ces influences. Faut-il parler des modifications profondes qu’ont subies depuis trente ans les débouchés de l’agriculture ? faut-il rappeler que