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d’Europe a été introduite. Tout le monde a entendu parler des rats noirs qui s’étaient établis dans nos villes du XVIe au XVIIe siècle ; le gros rat brun, le surmulot pour les zoologistes, est venu à une époque plus récente, et les premiers envahisseurs ont été anéantis.

Le spectacle de véritables combats pour l’existence a été donné par les deux sortes de rongeurs ; rats noirs et surmulots ont de bons rapports de voisinage dans les lieux où la nourriture s’offre en abondance ; dans les endroits où la disette se fait sentir, les plus forts égorgent les plus faibles. Par suite des luttes entre les êtres, il arrivera donc quelque changement à l’égard de la flore et de la faune d’une contrée ; — pourtant on ne voit guère d’espèces détruites sur une portion de territoire cesser d’être représentées dans la nature. Ce n’est pas au reste la question qui nous occupe ; il s’agit toujours de ces transformations imaginaires et nous ne voyons pas qu’elles prennent une apparence de réalité lorsqu’un chardon ou une ortie vient occuper la place d’un autre végétal. Personne ne doute que des plantes et des animaux puissent disparaître du monde vivant, les débris organiques arrachés à la terre sont des témoignages sûrs ; en songeant seulement aux temps actuels, on n’oublie pas que l’homme a consommé la destruction de grands mammifères et d’oiseaux remarquables[1]. »

La vie des êtres se trouvant fort inégalement menacée, si la faculté de propagation était peu différente, la fin des combats aurait été prompte. Dans la nature entière, il existe un merveilleux rapport entre la fécondité de la créature et les dangers qui l’environnent. Ainsi qu’on l’avait remarqué avant M. Darwin, toute espèce tend vers l’accroissement ; déjà très prononcée chez les êtres le mieux doués, cette tendance devient extraordinaire parmi les organismes inférieurs. Tombant plus ou moins au hasard, poussées par les vents, les graines ont la même destinée sans avoir le même sort. Une part énorme appartient aux oiseaux et aux insectes ; une part semble devoir rester inutile. La plante croît et multiplie dans une autre proportion que l’animal qui la ronge ; en général la bête herbivore est plus féconde que la bête carnassière, l’espèce de petite taille plus que l’espèce de grande dimension. Entre les représentans du même genre ou de la même famille, pareille diversité est manifeste selon que les conditions d’existence offrent plus ou moins de périls. Certains êtres sont doués d’une faculté de procréation extraordinaire, qui se révèle seulement dans des circonstances exceptionnelles. Les mouches, dont les larves dévorent les cadavres, en

  1. Voyez les Animaux disparus depuis les temps historiques, dans la Revue du 1er novembre 1870.