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divergentes. Voici les culbutans à la face courte, au bec tout petit et conique, les malheureux sont si mal conformés qu’ils perdent l’équilibre en volant ; on les voit à chaque minute tourner sur eux-mêmes et parfois faire de telles culbutes qu’ils tombent à terre et se blessent. Maintenant c’est le frill-back indien, le pigeon à dos frisé ; celui-ci a toutes les plumes renversées et contournées, — un autre genre de monstruosité. Viennent ensuite les jacobins, dont les plumes du cou relevées forment un capuchon ; puis les tambours aux pattes emplumées, portant à la base du bec une touffe de plumes bouclées, de loin, ils se font reconnaître par un roucoulement singulier. Enfin on nous livre, comme représentans de la onzième race, tous les pigeons qui diffèrent à peine du biset sauvage, c’est-à-dire les pigeons de colombier jouissant d’une sorte de liberté.

Les descriptions achevées, M. Darwin se montre tout fier ; il semble qu’une victoire est remportée. « Les pigeons que j’ai examinés, dit-il, ne constituent pas moins de onze races ; s’il s’était agi d’animaux sauvages, on aurait attribué une valeur spécifique aux caractères que nous avons signalés. » Avec une bonne foi pleine d’ingénuité, il ajoutera encore : « Les genres admis par les ornithologistes dans la famille des colombides[1] diffèrent peu les uns des autres ; il n’est pas douteux que plusieurs de nos formes domestiques trouvées à l’état sauvage n’eussent donné lieu à l’établissement d’au moins cinq genres. » Une telle croyance doit tourner à la confusion de l’auteur. Les pauvres oiseaux tenus captifs, privés de l’usage des membres, volent mal et marchent avec peine ; plusieurs d’entre eux, soumis à une alimentation qui n’a point permis au bec de prendre par l’exercice le développement normal, seraient embarrassés pour saisir des graines dures. Il est aussi étrange d’imaginer un ornithologiste capable de méconnaître les signes de la domesticité chez les pigeons paons, les pigeons à cravate ou les culbutans, que de supposer un botaniste inhabile à discerner les effets de la culture sur les roses, les œillets ou les dahlias. Les races de pigeons ne se maintiennent que par le choix persistant des sujets ou les anomalies sont le plus fortement accusées, car, par suite des efforts de l’oiseau pour revenir à l’existence particulière à son espèce, les anomalies tendent toujours à disparaître. « Un jour, voyant de beaux pigeons, rapporte un compatriote de M. Darwin, je m’informai près de l’heureux propriétaire s’il ne laissait pas voler au dehors ses culbutans à courte face. — Si je lui avais demandé la bourse ou la vie, continue le narrateur, il n’aurait pas été plus étonné, — Les laisser s’envoler ! s’écria l’amateur, vous savez certainement

  1. C’est le nom de la grande famille zoologique qui comprend toutes les espèces de pigeons.