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la civilisation, des passages ont été pratiqués, des obstacles abattus, de vastes espaces couverts de cultures semblables ; une sorte d’uniformité régna dans les lieux où le magnifique désordre de la nature sauvage empêchait autrefois toute créature de parcourir un long chemin. Aussi en Europe, plus encore que dans les autres parties du monde, des végétaux et des animaux se sont répandus de proche en proche. La mer n’est pas toujours une barrière infranchissable ; des graines entraînées par le flot iront peut-être germer sur une plage bien lointaine, des insectes légers, comme des papillons, pouvant se maintenir dans l’air, se trouvent parfois des rivages d’un continent jusqu’à la côte d’une île fort distante emportés par le vent ; des oiseaux ont assez de force pour accomplir d’immenses voyages. Néanmoins l’extension de toutes les espèces a des limites larges ou étroites ; le climat et d’autres conditions physiques ne permettent pas que les êtres se confondent sur le globe entier. Chacun le constate en voyant que ni les animaux ni les plantes apportées de divers pays ne parviennent en général à s’acclimater[1]. Qu’on abandonne les végétaux cultivés dans nos champs et dans nos jardins, au bout de peu de temps, pour le très grand nombre, on en cherchera inutilement la trace.

Quelques espèces seules, s’accommodant aux circonstances ou rencontrant des conditions analogues à celles du pays d’origine, se sont naturalisées. Notre terrible chiendent s’est implanté sur plusieurs des îles de la mer du Sud, le robinier faux-acacia paraît se comporter sur notre sol comme nos arbres indigènes ; une plante de la famille des composées, l’érigeron du Canada[2], a trouvé une nouvelle patrie sur nos terrains rocailleux ; un crucifère, le lépidie de Virginie[3], se répand beaucoup en France ; une herbe aquatique de l’Amérique du Nord[4] a envahi les mares et les canaux de notre pays. M. Alphonse de Candolle a montré de quelle manière a eu lieu l’extension de diverses plantes européennes[5]. De nos jours, l’abeille d’Europe travaille en pleine liberté au milieu des forêts des États-Unis ; les chevaux, issus d’ancêtres échappés des mains des conquérans du Nouveau-Monde, parcourent en grandes troupes les pampas de la Plata. Les bêtes qui se nourrissent de matières organiques sèches trouvent la vie facile dans presque toutes les régions du monde ; les rats s’accommodent des reliefs qui

  1. Acclimater ne doit s’entendre que des êtres pouvant vivre et multiplier d’une manière indépendante sur une terre étrangère. Les animaux domestiques et les végétaux cultivés ne sont pas acclimatés.
  2. Erigevon canadense.
  3. Lepidium virginicum.
  4. Elodea canadensis.
  5. Géographie botanique, Paris 1865.