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l’aide de la science contemporaine. Il soutenait la même doctrine dans plusieurs travaux publiés par la Revue, où il exposait la thèse de l’idéalité ou plutôt de la spiritualité de la matière[1], car la précision des termes veut que l’on réserve le nom d’idéalistes à ceux qui nient la réalité des choses extérieures, et non à ceux qui transforment les atomes en forcer et les corps en esprits. Enfin par l’action de son enseignement et de ses écrits, M. Ch. Lévêque conquérait à la philosophie spiritualiste, grâce à la séduction de l’idée leibnizienne, un écrivain plein de talent et d’une belle espérance, qui avait débuté dans des principes contraires, et qui, revenu des sciences à la métaphysique, de la contemplation des corps à celle des esprits, promettait à la philosophie un laborieux et brillant défenseur, lors qu’il a été récemment enlevé à la science par une mort prématurée, le jeune et intéressant Fernand Papillon. Les lecteurs de la Revue avaient pu apprécier ce talent facile et fougueux que le temps devait mûrir. Récemment il publiait sous ce titre : la Nature et la Vie, une série d’études qui avaient paru ici même sur les grands problèmes de la science considérés au point de vue philosophique, et dans lesquelles dominait d’un bout à l’autre l’idée de force comme élément constitutif de la matière. Enfin il avait achevé et il était sur le point de publier une histoire des sciences au XVIIIe siècle dans son rapport avec la philosophie, et l’idée centrale de cette histoire, dont il a lu à l’Institut de nombreux fragmens, était l’influence de la philosophie de Leibniz sur le développement des sciences modernes.

Je ne crois pas forcer les choses en rattachant M. Vacherot à l’école et à l’opinion du spiritualisme dynamiste[2]. Ceux-là seuls qui ne connaissent pas ses idées pourront s’en étonner. Il y a en effet dans sa philosophie deux philosophies distinctes et en quelque sorte superposées : l’une qui se rapporte à la psychologie et la cosmologie, l’autre à la métaphysique et à la théologie. Or en métaphysique M. Vacherot est sans doute très loin du théisme ; mais en psychologie et en cosmologie il reste fidèle aux opinions de l’école spiritualiste. Sa cosmologie est celle de Leibniz, sa psychologie est celle de Maine de Biran. Comme M. Magy, comme M. Lévéque, il construit

  1. La Nature et la philosophie idéaliste, 15 janvier 1867 ; — l’Atome et l’Esprit, 1er juin 1869.
  2. On devrait même, si l’on tient compte de l’ordre du temps, citer le nom de M. Vacherot avant les autres, car son livre de la Métaphysique et de la Science, qui est de 1859, contient déjà une forte exposition du dynamisme avec un sentiment juste des limites de cette doctrine. — Nous ne devons pas non plus négliger de rappeler ici ce que nous avons dit déjà dans un travail antérieur, c’est qu’Emile Saisset, par son enseignement de l’École normale, est un de ceux qui ont le plus contribué à répandre les idées du dynamisme leibnizien.