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a dû défendre aux popesses et à leurs enfans d’accompagner leurs maris dans ces quêtes à domicile. D’autres fois le paysan refuse l’offrande habituelle, et alors s’engagent entre le prêtre et lui de regrettables discussions. On raconte que, ne pouvant obtenir d’un paysan le salaire des prières qu’il venait de réciter sur sa demeure, un pope imagina de retirer les bénédictions qu’on refusait de lui payer et de les remplacer par des imprécations. La superstition triompha de l’avarice du mougik, effrayé des paroles du prêtre comme des sortilèges d’un magicien.

Ces tournées paroissiales, qui se répètent plusieurs fois par an, sont une des causes de la déconsidération du clergé, moins pour cette sorte de mendicité solennelle que pour les circonstances qui l’accompagnent. Dans de telles visites, le clergé, celui des campagnes surtout, est souvent victime d’une qualité nationale, de l’hospitalité russe, qui garde encore quelque chose de primitif. Il n’est si pauvre mougik qui n’offre en ces jours de fête un verre de vodka à son curé ; le moins généreux se blesse, si le prêtre ne boit chez lui. Un refus est, par la plupart des paysans, considéré comme un outrage ; le prêtre est alors un orgueilleux qui méprise le pauvre monde, et les paysans se vengent de lui en lui refusant leurs services pour la culture de son champ[1]. Le plus prudent est de se soumettre, et l’honneur accordé à l’un ne se peut dénier à l’autre. Le clergé s’en va ainsi de maison en maison en habits sacerdotaux et portant la croix, distribuant partout ses bénédictions et recevant en échange un verre d’eau-de-vie et quelques kopeks. Les suites sont aisées à deviner. A la fin d’une telle journée, le prêtre est facilement hors de son bon sens. Les paysans s’en scandalisent peu, sur le moment au moins ; on en a vu soutenir le pope enivré et le conduire avec précaution de porte en porte jusqu’au bout de sa tournée. Naturellement de tels spectacles sont peu faite pour ramener les dissidens. Il y a dans la galerie d’un riche raskolnik de Moscou un tableau représentant une scène de ce genre. Le pope chancelle, la croix à la main, et le diacre ivre souille les ornemens sacrés. De tels accidens ne peuvent inspirer de respect au paysan qui les provoque, et, avec la contradiction habituelle au peuple, il se moque le lendemain de ce qu’il encourageait la veille. Pour un pope, le plus avantageux est d’être en état de supporter la boisson, et, pour ne pas s’exposer à l’ivresse, d’être bon buveur. Les occasions de le devenir ne lui manquent point ; aux repas de noces des paysans

  1. Opisanié Selskago Doukhoventsva, p. 80 et suiv., révélations d’un pope publiées il y a quelques années à Leipzig et à Paris. L’auteur anonyme, découvert par les autorités ecclésiastiques, ne dut qu’à de hautes protections d’échapper aux rancunes de ses supérieurs.