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mûrie par les libertés publiques, où le sentiment religieux est stimulé par la rivalité des différens cultes, le clergé peut trouver plus de liberté et de dignité à n’avoir d’autre soutien que la piété de ses fidèles ; il en est autrement dans un pays pauvre, habitué à se reposer de tout sur l’état. Le clergé dont l’entretien est abandonné au zèle privé y perd en considération et en indépendance, souvent même en moralité. En étant à la charge de ses paroissiens, le prêtre tombe à leur merci. C’est ce qui se voit en Russie, au moins dans les campagnes. A-t-il affaire aux anciens serfs, le pope a peine à leur arracher la nourriture de ses enfans. Compte-t-il sur sa paroisse quelque riche famille, il n’y en a d’ordinaire qu’une, celle des anciens seigneurs, en sorte que la générosité est sans émulation, et que la reconnaissance, n’ayant point à se partager, se change en dépendance et en servilité. Au temps du servage, le pope vivait surtout des bienfaits du seigneur local : à force d’être son obligé, il devenait son homme, sa créature, il était comme l’aumônier ou le chapelain du propriétaire, et cet état de choses n’a pu disparaître en un jour avec l’émancipation.

L’église russe a, comme ses couvens, perdu la plus grande partie de ses terres. Dans chaque paroisse, le pope possède encore la jouissance d’un champ de 30 arpens au moins, et souvent de plus. C’est une petite ressource dans un pays peu peuplé, où la terre n’a souvent de valeur qu’autant qu’on la peut cultiver soi-même. Les paysans prêtent d’ordinaire au pope un travail gratuit, mais fréquemment insuffisant. Parfois le prêtre est réduit à mettre lui-même la main à l’ouvrage ; chez les clercs inférieurs, le travail des champs est habituel. La principale ressource du clergé n’est pas là, elle est dans les cérémonies religieuses, dans le casuel. Il y a dans chaque paroisse deux, trois, quatre familles, souvent vingt ou vingt-cinq personnes, à vivre de l’autel. Tout ce monde pourrait encore trouver là un revenu suffisant, si le produit de chaque église était abandonné à son clergé. Or il n’en est point ainsi : certaines aumônes, certaines taxes ecclésiastiques, parfois les plus productives, sont réservées aux caisses du diocèse ou du synode. Dans les églises orthodoxes, chez les Grecs comme chez les Russes, une des branches de revenus les plus régulières est la vente des cierges : cette vente se peut comparer à la location des chaises et des bancs ou pews en France ou en Angleterre. Les orthodoxes, qui ne s’assoient point pendant les offices et prient d’ordinaire debout, n’entrent guère dans leurs églises sans acheter à la porte un petit cierge qu’ils brûlent devant une image, les dévots en allument à la fois devant plusieurs saints. Le produit de cette vente alimente la caisse ecclésiastique, dont l’autorité diocésaine ou synodale dirige l’emploi, et qui sert