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exclusivement ecclésiastique qu’en d’autres pays. Les programmes seraient remplis que le clergé russe serait le plus instruit et le plus éclairé du monde. S’il ne l’est point, il n’est guère inférieur à certains clergés de l’Occident, il est supérieur à la plupart des clergés d’Orient unis ou non à Rome. Les connaissances du plus grand nombre des prêtres les mettent encore au-dessus du milieu où ils vivent, et si la plupart en tirent peu de parti, la faute en est moins à l’enseignement du séminaire qu’au poids déprimant de la vie du pope. L’instruction des diacres et des clercs inférieurs est plus faible ; beaucoup de ces derniers savent à peine lire le slavon et récitent leur office par cœur. Il fut un temps où le patriarche Nikone se fit taxer d’exigence en prétendant que tous les clercs sussent lire : encore aujourd’hui tous les sacristains le savent-ils en Occident ? Dans son ignorance, ce bas clergé en sait assez pour son service ecclésiastique : si on lui demande davantage, c’est moins pour les besoins religieux que pour l’employer à l’instruction du peuple.

L’ignorance n’est point le principal mal du clergé russe, c’est la pauvreté ou plutôt le manque de moyens d’existence indépendans, c’est encore plus l’isolement social. Le clergé paroissial n’est point salarié ou ne l’est que d’une façon insignifiante. Le plus grand nombre reçoit à peine 100 roubles par an[1]. Les provinces où les cultes étrangers ont de nombreux adhérens sont les seules où les prêtres orthodoxes reçoivent un traitement sérieux. Dans ces régions, la politique, qui unit l’intérêt de l’orthodoxie à l’intérêt national, empêche l’état de laisser le pope à la charge de son troupeau ; alors même le curé russe ne reçoit guère plus de 300 roubles : avec une famille et un tel traitement, il se trouve encore souvent dans une situation inférieure, à celle des ministres des confessions rivales, qui d’ordinaire sont, eux aussi, salariés par l’état. Les défiances mêmes du gouvernement contre les cultes hétérodoxes l’engagent à en payer le clergé pour le mieux tenir sous sa main. Il le fait du reste au moyen d’une taxe spéciale appliquée aux membres de chaque confession, en sorte qu’il n’est que l’intermédiaire obligé entre les différentes églises et leurs ministres. Avec le clergé orthodoxe, il n’est pas besoin de tels moyens ; l’état le tient sous sa tutelle par assez d’autres liens. Cet exemple montre l’erreur de ceux qui ne font consister la séparation de l’église et de l’état que dans la suppression du traitement du clergé. Peu d’églises reçoivent aussi peu du gouvernement que l’église russe, et peu lui sont aussi étroitement unies. Chez un pays riche où l’initiative individuelle a été

  1. Le rouble au taux normal vaut 4 francs ; sous le régime du cours forcé, le change le fait osciller entre 3,30 et 3,75.